Face à un modèle économique incertain, la plateforme de streaming sportif investit massivement dans un événement mondial… qu’elle offre gratuitement au public. Une stratégie déroutante, que d’autres diffuseurs comme beIN Sports n’osent pas suivre.
À l’heure où les droits sportifs s’arrachent à prix d’or et où les chaînes historiques verrouillent méthodiquement leurs parts de marché, DAZN fait figure d’exception. Le groupe britannique, spécialisé dans la diffusion de compétitions sportives par abonnement, a conclu en décembre dernier un accord d’1 milliard de dollars avec la FIFA pour s’assurer la retransmission mondiale de la Coupe du Monde des Clubs, nouvelle formule.
Mais alors que la compétition débute à Miami, une question intrigue les observateurs : pourquoi DAZN, après un tel investissement, choisit-il de diffuser gratuitement les 63 matchs du tournoi ? Et surtout, pourquoi ses concurrents plus établis, comme beIN Sports ou Canal+, ne s’engagent-ils pas dans cette voie ?
Une prise de risque exceptionnelle, rendue possible par Riyad
La réponse tient en deux mots : investissement saoudien. Peu après la signature du contrat avec la FIFA, la société DAZN annonçait qu’un fonds souverain saoudien, SURJ Sports Investment — lié au puissant Public Investment Fund (PIF) -> prenait une participation significative dans son capital, pour un montant équivalent à celui versé à la FIFA. Officiellement, il s’agit d’un partenariat stratégique pour développer la plateforme à l’échelle mondiale.
Dans les faits, cette injection de liquidités permet à DAZN de proposer un modèle économique radicalement différent : offrir un événement premium gratuitement, en espérant conquérir un public massif et, à terme, fidéliser une partie de ces spectateurs.
« L’objectif est clair : attirer 100 millions de nouveaux utilisateurs sur la plateforme », confie une source proche du dossier. « Même si une infime fraction se convertit en abonnés, l’opération pourrait devenir rentable à long terme. »
Un pari déjà tenté… et souvent perdu
DAZN n’en est pas à sa première tentative d’expansion rapide. En France, la plateforme avait misé sur la diffusion de la Ligue 1 dès la saison 2023–2024, promettant un chèque annuel de 400 millions d’euros à la Ligue de Football Professionnel. Mais le succès n’a pas été au rendez-vous. Moins de 500 000 abonnés en six mois « contre 1,2 million pour Amazon Prime Video lors de la saison précédente » et un rejet unanime des présidents de clubs.
« Un suicide collectif », avait jugé Waldemar Kita, président du FC Nantes. « Une catastrophe totale », avait surenchéri Joseph Oughourlian, patron du RC Lens.
Résultat : DAZN a résilié son contrat, payé des indemnités dépassant les 100 millions d’euros et s’est retiré du marché français. Une expérience coûteuse, qui illustre les limites d’un modèle reposant uniquement sur le football et sans l’écosystème de contenus proposé par des diffuseurs généralistes comme Canal+ ou Amazon.
Une diffusion gratuite… mais pas désintéressée
Si DAZN ne demande pas de paiement à ses spectateurs pour la Coupe du Monde des Clubs, elle ne compte pas renoncer aux recettes pour autant. Publicité, ventes de droits à d’autres diffuseurs (Channel 5 au Royaume-Uni, TNT Sports et Univision aux États-Unis) et collecte de données utilisateurs sont autant de leviers mobilisés.
Mais là encore, les retours sont modestes. Selon les estimations de plusieurs analystes, à peine 200 à 300 millions de dollars auraient été récupérés via la sous-licence. Et les ventes publicitaires patinent : « Les espaces ne se vendent pas comme espéré », confie un cadre du secteur. « Le produit est premium sur le papier, mais difficile à monétiser en pratique. »
beIN, Canal+, Amazon : pourquoi ils ne suivent pas
Face à cette stratégie offensive, les acteurs traditionnels préfèrent rester prudents. beIN Sports, adossée au Qatar, conserve une politique de diffusion sélective, centrée sur les championnats les plus suivis (Ligue des champions, Ligue 1, Copa Libertadores), tout en maintenant une grille cohérente sur plusieurs sports.
Canal+, quant à elle, mise sur une approche globale : séries, films, documentaires et sports, avec un réseau de fidélisation puissant. Laisser des contenus majeurs en accès libre reviendrait à affaiblir la proposition de valeur.
Même Amazon, pourtant rompu à la logique de conquête rapide, a choisi d’abandonner la Ligue 1 après deux saisons jugées peu rentables. La gratuité n’est pas une option quand l’objectif est la rentabilité.
Des pertes astronomiques… mais un cap maintenu
DAZN, soutenue par l’homme d’affaires anglo-américain Sir Leonard Blavatnik, n’a jamais masqué ses ambitions. Présentée comme le « Netflix du sport », la plateforme a cumulé plus de 6,7 milliards de dollars de pertes depuis sa création, mais continue d’investir.
Elle détient aujourd’hui des droits dans de nombreux pays : la Serie A en Italie (100 % des matchs), la Liga et la F1 en Espagne, la Bundesliga et la Champions League en Allemagne, sans oublier la J-League japonaise et les sports de combat (boxe, MMA). En décembre 2024, elle a même racheté Foxtel, géant australien du câble sportif, pour un montant de 1,6 milliard de livres.
Une opération séduction… ou un chant du cygne ?
La Coupe du Monde des Clubs représente donc bien plus qu’un simple tournoi pour DAZN : c’est une opération de survie, autant qu’un coup marketing. Une occasion unique de se repositionner, alors que son projet d’introduction en bourse tarde à se concrétiser.
La FIFA, elle, trouve dans ce partenariat une vitrine mondiale pour son tournoi, qui réunit les meilleurs clubs de chaque continent. Infantino peut compter sur le soutien saoudien pour garantir la tenue de l’événement, même en l’absence de diffuseurs classiques.
Reste à savoir si l’audience suivra. Car si le spectacle est au rendez-vous, les fans, eux, ne se laissent plus séduire si facilement.
Résumons tout ça:
- DAZN a payé 1 milliard de dollars pour diffuser la Coupe du Monde des Clubs 2025.
- Les 63 matchs sont accessibles gratuitement sur sa plateforme.
- L’investissement est financé en partie par un fonds saoudien.
- DAZN espère convertir l’audience gratuite en abonnés fidèles.
- Contrairement à DAZN, beIN Sports et Canal+ misent sur un modèle stable et payant.
- Le pari est audacieux… mais les précédents laissent planer le doute.