Wimbledon, temple du tennis mondial et symbole de tradition britannique, traverse une zone de fortes turbulences . Pour la première fois dans l’histoire du tournoi, les juges de ligne ont été entièrement remplacés par un système automatisé, piloté par intelligence artificielle IA. Une initiative saluée par les promoteurs de la technologie, mais qui suscite également un vent de méfiance, voire d’agacement, de la part de certains joueurs et d’une partie du public.
L’incident survenu le 6 juillet sur le Court 14, lors du match opposant la Britannique Sonay Kartal à la Russe Anastasia Pavlyuchenkova, a clairement montré les limites de cette automatisation. Une erreur humaine dans la gestion du système a conduit à la désactivation partielle des caméras, faussant un point crucial du match. L’organisation a présenté ses excuses, mais le mal était fait.

Une innovation décriée par les joueurs
L’outil en question, Hawk-Eye Live, n’est pas nouveau sur le circuit. Déjà utilisé à l’Open d’Australie ou à l’US Open, ce système repose sur un réseau de caméras haute vitesse et une analyse algorithmique en temps réel, censée garantir une précision supérieure à celle des yeux humains. À Wimbledon, en revanche, la bascule intégrale vers l’IA en 2025 a constitué une rupture brutale.
Car si la technologie promet l’exactitude, encore faut-il qu’elle soit perçue comme telle. Or, plusieurs voix parmi les joueurs se sont élevées pour remettre en cause cette prétendue infaillibilité. Le Britannique Jack Draper, battu au deuxième tour par Marin Čilić, s’est montré dubitatif : « J’ai senti que certaines décisions étaient franchement discutables. Quand le système se trompe, il n’y a pas de recours et c’est frustrant. » Même son de cloche du côté d’Emma Raducanu, qui a quitté le tournoi en déclarant qu’une balle manifestement fautive avait été jugée bonne par la machine : « On ne peut pas juste dire que tout est parfait parce que c’est un robot. »
Au cœur des critiques : l’absence de transparence. Les appels sont faits par une voix synthétique, peu audible dans le vacarme ambiant. Lors d’un match sur le Court 7, la joueuse chinoise Yuan Yue a même demandé à l’arbitre s’il était possible d’augmenter le volume de l’annonce vocale, ça en dit long sur l’expérience des athlètes sur le terrain.

Une panne et une polémique
Mais c’est le dysfonctionnement technique de dimanche qui a véritablement enflammé les débats. Dans une fin de match tendue entre Kartal et Pavlyuchenkova, le système a été « désactivé par erreur » sur un côté du court. Résultat : une balle jugée bonne par défaut alors qu’elle était clairement dehors, d’après les images vidéo. L’erreur a été reconnue par les organisateurs, qui ont expliqué qu’un opérateur avait, involontairement, interrompu le flux de données. Vous y croyez vous?
La Fédération britannique a tenté de minimiser l’incident, affirmant que le problème avait été « isolé » et que « des correctifs ont été immédiatement mis en place ». Pour autant, les explications n’ont guère apaisé les esprits. Pavlyuchenkova, visiblement affectée, a demandé que l’on envisage un retour à un système mixte, à l’image de l’assistance vidéo dans le football : « Pourquoi ne pas avoir un arbitre vidéo, capable d’intervenir quand la machine se trompe ? » a-t-elle suggéré en conférence de presse.
Une tradition balayée
L’arrivée de l’IA à Wimbledon ne fait pas que grincer les dents sur le plan technique. C’est toute une esthétique du jeu qui s’en trouve bouleversée. Les juges de ligne, figés dans leurs costumes bleus, ponctuant le match de gestes nets et précis, faisaient partie intégrante du théâtre wimbledonien. Leur disparition laisse un vide que ni la précision ni l’efficacité ne parviennent encore à combler.

Plus de 300 juges ont été évincés cette année. Certains ont manifesté pacifiquement aux abords du All England Club, affichant des pancartes « Bring the soul back to the game » ; Rendez au jeu son âme
Même les spectateurs semblent partagés. Sur les réseaux sociaux, plusieurs extraits vidéo tournent en boucle, montrant des appels controversés sans réaction humaine. L’atmosphère semble plus froide, plus mécanique. « Wimbledon ressemble de plus en plus à une simulation », s’inquiétait un commentateur sportif britannique.
Un débat plus large sur la place de la technologie
La question dépasse le cadre du tennis. Elle interroge notre rapport à l’erreur, au doute, à l’arbitrage. Jusqu’où faut-il faire confiance à la machine ? Peut-on accepter qu’une décision contestable soit jugée incontestable simplement parce qu’elle est rendue par un algorithme ? Mais surtout, que reste-t-il du jeu quand toute intervention humaine a disparu ?
Wimbledon n’est pas seul dans ce virage. D’autres disciplines ont adopté des outils technologiques pour limiter les erreurs : VAR en football, assistance vidéo en rugby ou en NBA. Mais rares sont les cas où l’homme a été totalement écarté du processus décisionnel.
La comparaison avec Roland-Garros, où les juges de ligne sont toujours en poste, est instructive. Là-bas, le tournoi parisien conserve une part de subjectivité et le joueur garde un droit de contestation. La possibilité de se tromper reste humaine et assumée.
Et maintenant ?
Le comité d’organisation de Wimbledon reste inflexible : il n’est pas question de revenir en arrière. D’après Sally Bolton, directrice générale du tournoi, le système Hawk-Eye Live a démontré sa supériorité statistique. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes », affirme-t-elle, rappelant que le taux d’erreur humaine lors des précédentes éditions avoisinait les 7 %, contre moins de 1 % avec l’IA.
Mais l’équation n’est pas que mathématique. Wimbledon devra sans doute envisager des ajustements pour préserver la crédibilité de son arbitrage : meilleure communication sur les décisions, enregistrement des appels en vidéo accessible au public, voire retour partiel à un système hybride.
Car à vouloir gommer toutes les imprécisions du jeu, on prend le risque d’en effacer l’âme. Et à Wimbledon, plus que nulle part ailleurs, l’âme du tennis est aussi précieuse que la coupe elle-même.