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L’Iran a « désactivé » le GPS sur son sol : comment est-ce possible ?

par KingofgeeK
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Depuis la fin de la « guerre de douze jours » en juin, les applications de navigation et de VTC en Iran s’égarent, les positions sautent de centaines de kilomètres et les opérateurs télécoms constatent des perturbations durables. Les autorités assument des mesures « pour raisons de sécurité », en visant notamment les drones. Faut-il parler de « désactivation du GPS » ? Techniquement, l’expression prête à confusion. Décryptage.

Ce qui s’est passé depuis juin

Dans la foulée du conflit éclair avec Israël, la réception des signaux de positionnement par satellite est devenue erratique dans de vastes zones d’Iran, à commencer par Téhéran. Des chauffeurs de plateformes locales (type Snapp) expliquent ne plus pouvoir travailler normalement tant leurs GPS donnent des itinéraires aberrants. Des acteurs de la cartographie iranienne rapportent une chute de l’usage et de la qualité de navigation. Le phénomène est inédit par son ampleur et sa durée. Les autorités, elles, parlent de mesures temporaires liées à la sécurité nationale.

Au niveau politique, le ministre des Communications a confirmé le 20 août que les perturbations du GPS et d’autres bandes de fréquences sont liées à la menace de drones et à des considérations de défense. Dans le même mouvement, Téhéran laisse entendre qu’il ne veut plus dépendre d’un seul système de navigation et regarde du côté du réseau chinois BeiDou pour certains usages civils. Sur le terrain, l’Internet se rétablit par vagues, mais les services de localisation restent les plus touchés.

« Désactiver » le GPS ? On parle en réalité de brouillage et d’usurpation

Le GPS n’est pas un bouton que l’on éteint à l’échelle d’un pays. Les satellites continuent d’émettre en orbite. Ce que des autorités « ou des acteurs malveillants » peuvent faire, c’est empêcher la réception correcte des signaux au sol :

  • Le brouillage (jamming). Il consiste à inonder les fréquences GPS (et des autres GNSS : Galileo, GLONASS, BeiDou) d’un bruit radio de puissance suffisante pour masquer le signal utile. Résultat : le récepteur ne parvient plus à calculer sa position. Suivant la puissance, le rayon d’effet peut aller de quelques centaines de mètres à plusieurs kilomètres.
  • L’usurpation (spoofing). Plus insidieuse, elle imite des signaux GNSS plausibles, pousse les récepteurs à « verrouiller » une fausse solution et affiche une position décalée ; parfois de centaines de kilomètres. C’est ce qui explique des cartes qui vous « téléportent » loin de votre point réel.

Note : GNSS c’est l’abréviation de«  Global Navigation Satellite System« , qui regroupe tous les systèmes de géo-localisation

Ces deux techniques peuvent être localisées (autour d’un site militaire, d’une frontière, d’un aéroport) ou étendues si elles sont déployées en réseau. Elles sont assez classiques en contexte de conflit, parce que les drones, munitions rôdeuses, missiles et systèmes de guidage s’appuient largement sur la navigation par satellite. En clair : l’Iran ne coupe pas l’espace, il dégrade la réception sur son territoire, là où il le juge nécessaire.

GPS pour les nuls

Conséquences visibles pour les habitants et l’économie

Dans les métropoles, les plateformes de VTC et de livraison tournent au ralenti : temps d’approche allongés, annulations, pertes de revenus pour les chauffeurs. Les services de cartographie indiquent des chutes d’activité à deux chiffres. Le secteur logistique (flottes de camions, dépôts) perd des informations cruciales de géolocalisation et de synchronisation. Les services d’urgence sont aussi affectés : une position faussée ralentit l’arrivée d’une ambulance ou d’un véhicule de police.

Le tout intervient alors que l’économie numérique iranienne est déjà fragilisée par des restrictions d’accès et par la hausse des coûts des opérateurs (énergie, équipements importés). Les autorités en sont conscientes : ces mesures sont une « arme à double tranchant » qui protège des menaces aériennes tout en perturbant la vie quotidienne et l’activité en ligne.

Pourquoi maintenant ? La logique anti-drone

Depuis deux ans, les zones de guerre regorgent d’exemples où brouillage et spoofing sont utilisés pour détourner des drones, casser des trajectoires ou empêcher des frappes de précision. L’Iran fait face à une menace aérienne persistante, y compris de drones d’observation ou armés et présente son brouillage comme un filet de protection. La géographie iranienne ( de grands centres urbains proches de sites sensibles ) favorise des mesures larges, plutôt que des bulles minuscules très difficiles à maintenir en pratique.

Peut-on basculer sur BeiDou du jour au lendemain ?

Pas vraiment. D’abord parce que la plupart des smartphones modernes sont multi-GNSS : ils reçoivent déjà GPS, Galileo, GLONASS et BeiDou. Si l’on brouille les bandes L1/L2 utilisées par GPS, on peut aussi atteindre leurs équivalents pour les autres constellations. Ensuite parce qu’adopter BeiDou à grande échelle suppose :

  1. Des terminaux et capteurs compatibles et correctement configurés (firmwares, chipsets).
  2. Des logiciels (apps de navigation, systèmes industriels) qui savent exploiter BeiDou, parfois avec des bibliothèques spécifiques.
  3. Des infrastructures de référence (stations au sol, réseaux de corrections) et de temps (NTP/PTP synchronisés au GNSS visé).

Autrement dit, oui, l’Iran peut réorienter ses usages civils vers BeiDou (transport, agriculture, objets connectés), progressivement et par secteurs, mais cela prend des mois et coûte cher. Et sur le plan militaire, les brouillages de zone touchent tous les GNSS.

Les limites et les risques d’une stratégie de brouillage

Le brouillage protège des drones… mais il dégrade des fonctions vitales. Outre la navigation, les signaux GNSS servent de référence de temps à de nombreux réseaux : téléphonie mobile, fibres optiques, transactions financières, diffusion TNT, horloges d’équipements industriels. Quand cette horloge « décroche », la synchronisation part en vrille et l’on accumule des pannes en cascade. Sans parler du transport aérien : les pertes de GNSS à basse altitude compliquent des procédures et augmentent la charge de travail des équipages et des contrôleurs.

Au plan social, une population privée de géolocalisation fiable bascule vers des pratiques « dégradées » : cartes hors ligne, repères visuels, appels aux passagers pour se guider… C’est faisable dans une ville que l’on connaît bien, beaucoup moins dans les zones rurales ou pour les professionnels qui optimisent un itinéraire à la minute près.

Quelles parades techniques ?

  • Navigation hybride (GNSS + inertiel) sur les véhicules : les gyroscopes/accéléromètres comblent temporairement les trous GNSS.
  • Récepteurs anti-jamming/anti-spoofing : filtrage spatial (antennes à diagramme piloté), détection de signaux incohérents, bascule automatique vers d’autres constellations ou d’autres bandes.
  • Corrections locales (RTK/PPP) et réseaux d’horloge redondés : ils améliorent la résilience, sans être infaillibles sous un brouillage puissant.
  • Diversification : utiliser, quand c’est possible, plusieurs constellations et des références de temps alternatives (horloges atomiques locales, eLoran là où disponible).

Pour un État, la solution de fond n’est pas de « remplacer le GPS par BeiDou » ( ce qui ne supprime pas la vulnérabilité au brouillage ), mais de bâtir une architecture de positionnement et de temps résiliente, mêlant GNSS, inertiel, vision, cartographie embarquée et gouvernance du spectre.

Une bataille de souveraineté technologique

Au-delà du volet sécurité, l’épisode illustre la recherche d’autonomie stratégique vis-à-vis des infrastructures dominées par les États-Unis. En se rapprochant de BeiDou, Téhéran se place aussi dans l’orbite technologique chinoise : puces, logiciels, standards. Pour autant, la bascule ne sera ni totale ni immédiate. Un écosystème numérique entier « fabricants, développeurs, logisticiens » doit s’aligner. Et dans l’intervalle, la vie quotidienne des Iraniens continue d’être rythmée par des cartes hésitantes et des points bleus capricieux.

Récapitulons : L’Iran n’a pas « éteint les satellites » ; il a, par des moyens terrestres, dégradé ou leurré la réception GNSS sur de larges zones. C’est possible techniquement et cohérent avec une doctrine anti-drone. Mais cette stratégie a un coût social et économique élevé et la promesse d’un refuge dans BeiDou n’efface pas la vulnérabilité commune des systèmes GNSS au brouillage. La vraie réponse est la résilience : diversification des sources de positionnement et de temps, équipements plus intelligents et transparence sur l’arbitrage entre sécurité et services aux citoyens.

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