Le pitch sans spoilers: Paris, futur proche. La capitale est découpée en trois zones étanches qui trient les habitants selon leur statut social. Une IA baptisée Alma s’est invitée au cœur du travail policier. Quand l’inventeur d’Alma est retrouvé mort, deux flics que tout oppose sont obligés de faire équipe: Zem, quinqua de la Zone 3, cabossé, borderline et Salia, enquêtrice de la Zone 2, droite, méthodique, avec sa part d’ombres. Leur enquête, d’abord froide comme l’acier, va fissurer l’ordre établi et mettre à nu un système qui sent la poudre.
Une adaptation libre qui muscle le roman
Le roman de Laurent Gaudé, publié en 2022, installait son monde dans une mégalopole et creusait les fractures politiques et humaines. Cédric Jimenez garde la charpente du polar dystopique, mais resserre la focale sur l’enquête, la mécanique du suspense, le point de friction entre humains et algorithmes. Surtout, il transpose l’action à Paris et pousse l’immersion urbaine. Résultat: un récit plus direct, plus sec, qui privilégie l’efficacité dramaturgique à la méditation mélancolique du livre.
On sent l’envie d’un grand film populaire à la française, spectaculaire mais ancré dans des préoccupations contemporaines: gestion algorithmique du risque, surveillance diffuse, tolérance zéro dans les quartiers relégués, montée de la défiance, inégalités verrouillées par l’urbanisme. Le film parle d’aujourd’hui en se projetant à deux stations de métro dans le futur.
Paris, zone par zone: worldbuilding en dur
La grande réussite visuelle de Chien 51 tient dans sa géographie sociale lisible. La Zone 1 nimbée de propreté clinique. La Zone 2, sas des classes stabilisées. La Zone 3, tissu de friches, néons fatigués, appartements saturés de livraisons absurdes. Jimenez filme des lieux réels augmentés par des effets discrets. Pas de déluge de CGI: juste ce qu’il faut pour tordre notre présent. Le spectateur croit à ce Paris dédoublé, parce que ce Paris ressemble encore au nôtre. Les checkpoints, l’éclairage public, la signalétique, les drones de supervision: tout paraît plausible.
L’IA Alma n’est pas une entité grandiloquente. C’est un maillage de consoles, de sonorités, de signalements, de corrélations. Elle propose, hiérarchise, presse les humains. Ce réalisme low key, presque administratif, rend l’angoisse plus proche.

Le duo qui fait des étincelles
Gilles Lellouche compose un Zem au bord du gouffre, fatigué, parfois lunaire, mais toujours tendu vers l’intuition. Son corps raconte autant que ses répliques. Adèle Exarchopoulos imprime un tempo plus intérieur à Salia, mélange de détermination et de fêlures, regard de glace et empathie rentrée. Les scènes de confrontation entre les deux font le sel du film: choc de méthodes, choc de classes, choc de rythmes. On pense parfois aux buddy cop movies, mais filtrés par une noirceur européenne.
Autour d’eux, Louis Garrel et Romain Duris jouent des figures de pouvoir ou d’opacité, pendant que Valeria Bruni-Tedeschi et Artus apportent des aspérités inattendues. Un casting large, exploité surtout pour épauler l’élan principal sans le parasiter.
Une mise en scène au couteau
Côté réalisation, Cédric Jimenez déroule ce qu’il sait faire: tension continue, poursuites nerveuses, nuits électriques, impacts nets. Le montage attaque sec, la photo sculpte les volumes et griffe les visages. On ressort avec l’impression d’avoir traversé un tunnel sous haute pression. On sent aussi la volonté d’un spectacle total: séquences d’assaut, filatures, ruptures d’axe, silences lourds avant l’orage. La musique soutient sans écraser, privilégiant les pulsations qui contaminent le rythme cardiaque.
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Ce que l’adaptation gagne et ce qu’elle perd
- Ce qu’elle gagne: une lisibilité d’action, un sens du tempo, une immersion urbaine crédible, un tandem d’acteurs solides. Le film assume son statut de thriller d’anticipation et délivre un divertissement tendu, racé, qui tourne les pages pour nous.
- Ce qu’elle perd: une part de la dimension politique et méditative du roman. Chez Gaudé, Zem porte la nostalgie des civilisations abîmées, la douleur des beautés disparues. Ici, ces harmoniques existent encore, mais en sourdine. Le propos social passe par l’architecture du récit plutôt que par des pauses réflexives. Certains personnages secondaires semblent esquissés quand on aurait aimé les voir respirer.
Est-ce un défaut ou un parti pris assumé pour le grand public En vérité, un peu des deux. Chien 51 choisit sa voie: un polar musclé, avec une portée thématique qui affleure en permanence. Si l’on accepte ce contrat, l’expérience est pleinement payante.

L’IA, juge et partie
Là où le film touche juste, c’est dans sa peur froide: quand les humains se calent sur les scores prédictifs, le droit se plie aux signaux faibles et la procédure avale le discernement. Les dilemmes que rencontrent Zem et Salia ne sont pas théoriques. Ils tranchent dans le vif: faire confiance à des corrélations ou écouter un doute persistant. Le scénario rappelle qu’un outil qui classe et anticipe finit vite par prescrire. Et qu’à ce petit jeu, les zones défavorisées perdent deux fois.
Verdict de Geekette
Chien 51 est un grand huit policier efficace, emballé avec soin, qui ne prend pas son public de haut. C’est aussi un miroir jeté à la figure de notre époque, sans cours magistral. On peut regretter que l’émotion et la politique soient moins charnelles que chez Gaudé, mais on salue la tenue, l’ambition, la direction d’acteurs et la cohérence de l’univers. Pour un blockbuster français, l’atterrissage est propre et l’élan, réel.
Recommandation: à voir en salle pour profiter du mix image son et du Paris futur proche qui serre la gorge.
LA Fiche :
- Titre: Chien 51
- Genre: Policier, science fiction, thriller
- Réalisation: Cédric Jimenez
- Scénario: Cédric Jimenez, Olivier Demangel
- Avec: Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel, Romain Duris, Valeria Bruni-Tedeschi, Artus
- Pays: France Belgique
- Durée: 1 h 46
- Sortie France: 15 octobre 2025
- Distributeur: StudioCanal
- Synopsis: Dans un futur proche, Paris est divisée en trois zones qui figent les classes sociales. L’IA Alma a transformé les pratiques policières. Le meurtre de son inventeur oblige Salia et Zem, deux flics aux trajectoires opposées, à mener une enquête qui va secouer l’ordre établi.