Sorti en 2016, le long métrage suit Nora, jeune recrue dans un cabinet de conseil très coté. À peine arrivée, elle découvre que ses patrons connaissent bien son père et qu’un vieux contentieux plane encore. Entre ascension express, rivalités feutrées, crush inattendus et secrets mal éteints, la vie pro de Nora percute sa vie perso. Résultat : un film choral au tempo feutré, où chaque regard pèse plus qu’un plaidoyer, où une réplique peut changer la partie.
Casting quatre étoiles : Agathe Bonitzer, Jean-Pierre Bacri, Lambert Wilson, Isabelle Huppert, Vincent Lacoste, Pascal Greggory. Durée autour d’1 h 35, rythme élégant, partition signée Bertrand Burgalat, photo de Julien Hirsch. Le ton : une comédie dramatique qui préfère l’ironie sèche aux coups d’éclat.
Histoire vraie ou vraie histoire de cinéma ?
La réponse brève : ce n’est pas une adaptation d’un fait divers ni le récit d’une aventure arrivée telle quelle. C’est une fiction nourrie de réel. Pascal Bonitzer a souvent expliqué que le milieu de la finance lui était étranger à l’origine et que la précision des coulisses vient d’un travail de documentation au plus près du terrain. Surtout, il assume une dimension autobiographique en creux : la sensation d’être propulsé dans un écosystème codé, fascinant et intimidant, l’observation des hiérarchies invisibles, la grammaire sociale qui cloisonne.
Autrement dit, pas « tiré d’une histoire vraie » au sens strict, mais bel et bien aimanté par des vécus, des confidences, des regards déplacés dans la fiction. Cette nuance fait toute la différence : le film ne cherche pas la reconstitution, il cherche la justesse.

Nora, un double discret du réalisateur
L’une des clés de lecture les plus stimulantes tient dans la relation du cinéaste à son héroïne. Bonitzer a reconnu que l’entrée de Nora dans son nouvel univers rejouait, de façon transposée, sa propre sensation d’intrusion dans un monde très codifié à ses débuts de critique. On n’est pas dans l’aveu frontal, on est dans le miroir brisé : Nora incarne la curiosité, l’ambition, la bravoure anxieuse face à un système qui a toujours un coup d’avance. Le clin d’œil devient vertigineux quand on se rappelle que Nora est interprétée par Agathe Bonitzer, la fille du réalisateur. Métaboliser une expérience intime en récit collectif, c’est précisément ce que fait ce cinéma-là.
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D’où vient la précision du monde de la finance ?
La grande force du film tient à cette sensation de « vrai » : salles de réunion, petits déjeuners de travail, dashboards de performance, langues parallèles et non-dits en cascade. Pour l’écrire, Bonitzer et sa coscénariste Agnès de Sacy se sont appuyés sur des témoignages solides du milieu des fusions-acquisitions. Cette matière documentaire irrigue le scénario sans jamais peser. On ne plaque pas un cours d’économie sur des personnages : on laisse les personnages révéler, par leurs gestes et leurs micro-trahisons, ce que la finance fait aux gens.
Huppert et Bacri, deux pôles magnétiques
Isabelle Huppert cisèle une épouse aux contours fuyants, qui parle peu, mais dont chaque mot redessine la carte des alliances. Jean-Pierre Bacri, lui, campe un père cabossé, fier et caustique, dont les angles morts affleurent dans les silences. Lorsqu’ils se croisent, le film gagne en densité émotionnelle. Face à eux, Lambert Wilson en patron lisse et Pascal Greggory en partenaire aussi charmeur que venimeux orchestrent les jeux de pouvoir. Agathe Bonitzer porte l’ensemble avec une sobriété déterminée et Vincent Lacoste fait vibrer l’ambiguïté d’un collègue autant aimanté par Nora que par son propre opportunisme.

Satire douce-amère du contemporain
Ce que raconte Tout de suite maintenant, au fond, dépasse la finance. Le film scrute une époque obsédée par les résultats immédiats, les KPI, la vitesse qui écrase les trajectoires. On y parle d’ascenseur social qui couine, de capital culturel qui survit masqué, de loyautés familiales qui se heurtent au darwinisme d’entreprise. La satire ne tape pas fort, elle pique avec une aiguille très fine. Et c’est souvent plus cruel.
Écriture et mise en scène : la dentelle Bonitzer
La caméra glisse plutôt qu’elle n’assène, le montage ménage des respirations, les scènes collectives s’ouvrent soudain sur des apartés qui réécrivent le sens d’une séquence. Les dialogues évitent les punchlines faciles. Ils préfèrent le sous-texte. On entend des mots ultra techniques surgir à côté d’une phrase toute simple et ce frottement raconte déjà un monde.
Fiche express
- Titre : Tout de suite maintenant
- Année : 2016
- Genre : comédie dramatique d’entreprise
- Durée : environ 1 h 35
- Réalisation : Pascal Bonitzer
- Scénario : Pascal Bonitzer, Agnès de Sacy
- Musique : Bertrand Burgalat
- Photo : Julien Hirsch
- Distribution : Agathe Bonitzer, Jean-Pierre Bacri, Lambert Wilson, Isabelle Huppert, Vincent Lacoste, Pascal Greggory, Julia Faure
Pourquoi le revoir ce soir
- Pour la justesse de l’observation : jamais démonstratif, toujours précis.
- Pour le duo Huppert, Bacri : deux intensités contraires qui électrisent l’écran.
- Pour l’ambiguïté morale : aucun personnage n’est réduit à un archétype.
- Pour la musique de Burgalat : un vernis pop qui laisse passer les fissures.
- Parce que le film a encore des choses à dire sur la vitesse, la performance, la fatigue d’être soi au bureau.
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