Hélène fête ses 60 ans dans la maison familiale d’Hossegor, écrin de pins, d’embruns et de souvenirs qui collent à la peau. Les trois enfants sont là, on cuisine, on rit, on joue, on se charrie. Puis la soirée se décante, les garçons filent, reste ce tête-à-tête électrique entre Hélène et sa fille Faustine. L’atmosphère se charge et la nuit, complice, ouvre un sas. Hélène raconte un été d’après, celui d’une séparation encore fraîche. Elle devait tout gérer, tout réinventer. Elle traînait ses enfants au bord des compétitions de surf, attirée par cette énergie brute, cet appel du large. Là, une rencontre inattendue avec une championne va fissurer son quotidien bien rangé et révéler un désir longtemps mis en veille. La nuit retrouvée déroule alors deux fils narratifs qui se répondent: le présent des aveux et les flashbacks d’un basculement intime.
La réussite du livre tient à ce télescopage entre l’intime et le politique. On suit une mère qui a parfaitement rentré son costume social, et qui, dans un cadre où tout la ramène à sa fonction maternelle, ose dire: j’ai eu envie d’autre chose. Pas d’artifice dramaturgique tonitruant, mais une précision de montre suisse dans la manière d’explorer le non-dit. On entend ce qui ne se dit pas, on voit ce qui n’a pas été montré. La nuit n’est pas juste un décor, c’est un dispositif: elle libère la parole, elle fluidifie les trajectoires, elle autorise l’ambivalence.
La BD parle de désir au féminin après 50 ans, sujet encore peu visible. Elle interroge la transmission mère fille sans chercher la morale clé en main. Et elle cadre les inégalités qui persistent, parfois sans grands discours, juste en posant une caméra sur la plage: là où les médias font foule pour les hommes, les femmes performent dans l’angle mort. Le surf devient métaphore parfaite de l’émancipation. On rame longtemps, on prend la vague au bon timing, on tient le cap en dépit des courants contraires.
Le style Bagieu, l’oreille Lafon
Si vous avez aimé Culottées ou Les Strates, vous retrouverez chez Bagieu ce sens du portrait qui fait vibrer les silences autant que les punchlines. Sa palette joue à fond les bleus nocturnes, les roses du couchant, les noirs qui n’avalent pas tout mais laissent respirer la scène. Les corps sont vrais, variés, assumés, loin du magazine de surf filtre soleil couchant. La championne a des muscles qui racontent sa pratique, pas un fantasme sponsor friendly. Hélène n’est pas glamourisée, elle est incarnée.
Côté texte, on sent la précision de Lola Lafon. Sa musique est là, mais elle sait se retirer pour laisser les images prendre le relais. Le dialogue mère fille sonne juste, jamais démonstratif. Les souvenirs n’arrivent pas comme des flashcards, mais comme des vagues, avec remous et écume. Le livre maîtrise ce va et vient sans perdre le lecteur. On a souvent des récits d’initiation tournés vers l’adolescence. Ici, l’initiation est tardive et c’est tout son sel. On apprend à 60 ans comme on apprend à 16 ans, avec la même dose de vertige.
Supernatural revient : les frères Winchester reprennent la route… en BD !
Et si c’était une mini série !!
Épisode 1: L’anniversaire. Mise en place des enjeux familiaux, premiers échos d’un secret.
Épisode 2: Hossegor rewind. La compète de surf comme scène mère, la rencontre qui fait dérailler la boussole.
Épisode 3: La nuit et après. Confession, conséquence, et ce moment où la mère cesse d’être un rôle pour redevenir un personnage à part entière.
La réalisation rêvée? Format 3×45, lumière naturelle, bande-son océan, mix de gros plans intimistes et de plans larges sur la forêt et la houle. Le surf filmé sans fétichisme, avec la rugosité qui va avec.
Ce qui m’a accroché
- Le traitement du temps. La nuit comme un long plan séquence émotionnel.
- La justesse du corps. Les postures disent autant que les mots.
- Le hors champ masculin. Le père est ailleurs, les fils passent, et ce creux redessine l’espace pour la parole des femmes.
- Le sport vu du bon angle. Ni décor carte postale ni gadget, mais un langage du risque et de l’équilibre.
- La sincérité. Rien ne sonne fabriqué. Même la pudeur a sa texture.
Pour qui
Pour celles et ceux qui aiment les romans graphiques sensibles sans renoncer à un regard engagé. Pour les lectrices qui ne se voient pas assez passées 50 ans dans la culture pop, et qui veulent des héroïnes qui leur ressemblent. Pour les amateurs de récits familiaux qui laissent place aux zones grises. Et pour tous les amoureux du littoral landais, vous allez presque sentir la résine et le sel.
On aime
Le duo. Deux artistes qui n’ont pas besoin de prouver quoi que ce soit, mais qui s’autorisent une partition commune d’une vraie élégance. La mise en page laisse respirer les gaufriers classiques quand il faut, s’ouvre en plein écran quand l’océan appelle. Les couleurs racontent l’intimité comme le large, sans jamais surligner.
On aime un peu moins
Les lecteurs friands de péripéties fracassantes pourraient trouver la progression trop feutrée. Mais ce serait passer à côté du projet: ici, l’onde de choc n’est pas un twist, c’est un déplacement intérieur.
Verdict Geekette
La nuit retrouvée redessine une héroïne à rebours de nos réflexes pop culture. Mère, oui, mais surtout femme, désirante, curieuse, parfois craintive, souvent courageuse. Une réussite formelle et émotionnelle qui laisse une belle traînée phosphorescente, comme ces vaguelettes qui s’illuminent sous la lune. Lecture chaude recommandée, plaid conseillé, playlist océanique en fond. Et si vous n’êtes pas déjà tenté de réserver un week-end dans les Landes, je rends ma carte de geekette.
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