Une vidéo virale, des émeraudes supposées arrachées à la Galerie d’Apollon, un proche de Volodymyr Zelensky présenté comme un parrain de la corruption et, à la clé, un rebondissement spectaculaire dans le casse du Louvre. Sur les réseaux, le scénario a tout d’un thriller. La réalité, elle, est nettement plus prosaïque.
Depuis le début de la semaine, un montage affirme que des bijoux volés au Louvre auraient été découverts en Ukraine lors d’une perquisition visant Timour Minditch, homme d’affaires au cœur d’un vaste scandale de corruption dans le secteur énergétique et présenté comme proche du président ukrainien. Cette histoire, largement diffusée en français et en anglais, ne repose sur aucun fait vérifié. Les services chargés de lutter contre les ingérences numériques la rattachent à une opération d’influence d’origine russe déjà bien documentée.
Une vidéo virale qui promet un rebondissement dans le “casse du siècle”
Le succès du récit ne doit rien au hasard. Quelques semaines plus tôt, le Louvre était victime d’un cambriolage spectaculaire. Un commando pénétrait un dimanche matin dans la Galerie d’Apollon, vitrine des joyaux de la Couronne et emportait plusieurs pièces historiques. Le préjudice, évalué à près de 88 millions d’euros, a frappé les esprits, en France comme à l’étranger.
L’enquête judiciaire a permis d’identifier plusieurs suspects, mais les bijoux, eux, restent introuvables. Cette absence de découverte alimente fantasmes et spéculations, notamment sur un éventuel écoulement au marché noir.
C’est précisément dans ce vide informationnel que la vidéo s’est engouffrée. Elle prétend apporter la “tournure inattendue” que tout le monde attend : les bijoux auraient ressurgi lors d’une opération du Bureau national anticorruption d’Ukraine visant Timour Minditch. Les images montrent un bureau couvert de liasses de billets, sur lequel repose une parure aux pierres vertes, pendant qu’une voix off rapproche le tout du casse parisien.
Ce que disent, noir sur blanc, les autorités ukrainiennes et françaises
Un détail suffit pourtant à faire vaciller l’histoire : nulle part, dans les communiqués officiels ukrainiens relatifs à l’affaire Minditch, il n’est question de bijoux correspondant à ceux volés au Louvre. Les enquêteurs mettent en avant des perquisitions massives, de l’argent liquide saisi et de nombreux documents, mais aucune parure n’apparaît dans les inventaires.
Côté français, la situation est tout aussi claire. Les autorités rappellent que la collection dérobée dans la Galerie d’Apollon n’a, à ce stade, pas été récupérée. Aucune instance judiciaire ne confirme un rebond spectaculaire de l’enquête à Kiev.
Le ministère français des Affaires étrangères, via son compte dédié à la riposte informationnelle, a d’ailleurs tourné en dérision ce faux “scoop”, le qualifiant d’exemple typique de propagande visant à la fois la France et l’Ukraine.
Un montage grossier, fondé sur de vraies images détournées
À l’examen, la supercherie apparaît évidente. La photo de fond, où l’on distingue liasses et documents sur un bureau, correspond à un visuel authentique publié par les autorités anticorruption ukrainiennes. Sur cette base réelle, les faussaires ont ajouté, par retouche, un collier et des boucles d’oreilles.
La comparaison avec la parure d’émeraudes de l’impératrice Marie-Louise, pièce phare de la Galerie d’Apollon, est sans appel. Le collier d’origine alterne pierres carrées et rondes, avec des émeraudes en forme de goutte. Celui de la vidéo ne présente que des pierres rondes et des proportions différentes. Les experts qui ont analysé les images confirment qu’il ne s’agit pas de la même pièce.
Pourtant, l’assemblage fonctionne dans les flux rapides des réseaux sociaux : un décor officiel, une lumière brute, une voix off assurée… et l’illusion prend.
Timour Minditch, scandale de corruption bien réel mais instrumentalisé
Au cœur du récit se trouve Timour Minditch, homme d’affaires ukrainien de 46 ans soupçonné d’avoir orchestré un vaste système de détournement de fonds dans le secteur énergétique. L’affaire, particulièrement médiatisée à Kiev, a donné lieu à de multiples perquisitions et saisies.
Cet ancrage dans une affaire réelle rend la manipulation plus efficace. En mêlant corruption avérée et casse parisien, la vidéo donne l’impression d’assembler des pièces cohérentes. En réalité, elle juxtapose deux histoires sans lien établi pour en créer une troisième, entièrement fictive.
Une intox qui porte la signature des opérations d’influence russes
Pour le service français chargé de la vigilance face aux ingérences numériques étrangères, le mode opératoire rappelle fortement une mécanique déjà décrite : l’opération d’influence baptisée Storm 15-16, une campagne d’origine russe active depuis 2023.
Ce dispositif se caractérise par l’appropriation d’images réelles ensuite retouchées, la création de faux comptes se présentant comme des médias ou experts indépendants et une diffusion coordonnée dans plusieurs langues afin d’élargir l’audience.
L’objectif final est clair : affaiblir le soutien à l’Ukraine, discréditer ses dirigeants et présenter la France comme incapable de protéger son propre patrimoine.
Le casse du Louvre, nouveau filon des faussaires de l’info
Ce n’est pas la première fois que le vol du Louvre est instrumentalisé. Des portraits de prétendus suspects ont circulé, alors qu’il s’agissait de clichés sans rapport avec l’affaire. D’autres vidéos montraient des scènes de cambriolage factices, manifestement créées ou modifiées numériquement. Des publications inventaient des mises en vente des bijoux sur des sites étrangers. Aucune de ces affirmations ne résiste à l’examen.
Les faussaires exploitent ici un matériau idéal : le prestige culturel, l’imaginaire du crime spectaculaire, la symbolique nationale. Autant d’éléments qui garantissent une viralité presque instantanée.
