Depuis sa présentation dans les grands festivals internationaux, Hamnet est considéré depuis comme l’un des événements cinéma de la fin 2025. Réalisé par Chloé Zhao, déjà oscarisée pour Nomadland, le film adapte le roman de Maggie O’Farrell et transpose sur grand écran le deuil d’Agnes et William Shakespeare après la mort de leur fils de onze ans.
Après une sortie progressive aux États-Unis fin 2025, le film est attendu dans les salles françaises en ce janvier 2026. Une arrivée très attendue, portée par un immense bouche-à-oreille et une grosse campagne autour de la saison des récompenses.
De quoi parle Hamnet ?!
Nous sommes en Angleterre, fin du XVIe siècle. William Shakespeare, encore en pleine ascension, partage sa vie entre Londres, où il écrit et joue pour le théâtre et Stratford, où l’attendent sa femme Agnes et leurs enfants Susanna, puis les jumeaux Judith et Hamnet.
Le film choisit de ne pas s’attarder sur la légende littéraire, mais sur l’intime. La peste s’insinue en toile de fond, lente, insidieuse, jusqu’au drame que le spectateur sait inévitable. Quand Hamnet tombe malade, Chloé Zhao resserre brusquement son cadre sur la maison, sur les gestes ordinaires de la mère, sur un père souvent absent, rattrapé trop tard par la réalité.
La seconde partie suit la famille fracturée par la perte. Agnes s’enferme dans une douleur qui semble déborder le cadre de l’époque, presque contemporaine dans sa violence, tandis que William, lui, fuit, se noie dans le travail, puis tente maladroitement de transformer la tragédie en art, ce qui finira par donner naissance à une pièce que l’on connaît bien.
Le scénario ne cherche pas le cours d’histoire, mais un point de bascule émotionnel dans la vie du couple. Le génie de Shakespeare n’est jamais glorifié frontalement, il est plutôt montré comme un effet secondaire, parfois ingrat, d’un chagrin impossible à porter.

Chloé Zhao, de la grande Histoire aux gestes minuscules
Ce qui nous surprend d’abord, c’est la manière dont Chloé Zhao refuse le costume-drama tapageur. Elle filme les campagnes anglaises comme des lieux à la fois concrets et légèrement irréels, enveloppés de brume, de pluie, de boue et de lumière rasante. La caméra reste souvent au niveau des mains, des nuques, des tissus qui frottent, comme si tout passait par le corps avant de passer par les mots. La photographie donne aux paysages une densité presque tactile, entre humidité et or pâle.
Il y a quelque chose de très cohérent entre ce choix visuel et le sujet. Hamnet est un film sur ce qui reste quand les grandes phrases ne suffisent plus. Les scènes de nature ne sont pas là seulement pour faire joli, elles ancrent Agnes dans un monde sensoriel où elle trouve un fragile point d’équilibre. Le film l’imagine presque en sorcière blanche, en femme qui parle aux renards et aux oiseaux de proie, mais sans folklore appuyé, plutôt comme une sensibilité aiguë au vivant.
La mise en scène est lente, ample, parfois contemplative. Il faut accepter ce rythme, cette façon de laisser un plan s’étirer un peu trop, comme si chacun de ces instants, dans la vie d’Agnes avant la mort de son fils, était déjà une forme de souvenir. Pour un public habitué aux récits historiques très dialogués, la proposition pourra sembler austère. Pour d’autres, ce sera au contraire une expérience immersive, presque hypnotique.
Jessie Buckley, cœur battant du film
On en parlait déjà après les premiers festivals, mais le voir à l’écran le confirme très vite : Jessie Buckley est le centre de gravité total de Hamnet.
Sa Agnes n’a rien de la figure de femme sage figée dans les livres. C’est une paysanne, une guérisseuse, une mère très terrienne, avec des colères brusques, un humour discret et des moments d’égarement. Buckley passe d’une énergie presque sauvage aux silences les plus lourds sans jamais forcer. Son visage semble se déformer sous le poids de l’émotion, puis se refermer d’un coup, comme si le chagrin ne pouvait pas se permettre de sortir entièrement.
La scène du décès de l’enfant, puis surtout celle où Agnes comprend qu’aucun rituel, aucun remède ne pourra la sauver de cette absence, comptent parmi les moments les plus durs vus récemment au cinéma. On sent que l’actrice va chercher loin, mais sans jamais basculer dans la performance démonstrative. Ce n’est pas un numéro d’actrice pour bande-démo, c’est une présence qui prend tout l’écran.
Paul Mescal, un Shakespeare fragile
En face, Paul Mescal choisit tout l’inverse. Son William Shakespeare est un homme qui retient tout, qui encaisse sans montrer. Beaucoup de scènes reposent sur son incapacité à trouver les mots justes dans sa propre maison, lui qui sait pourtant en trouver des milliers sur scène.
Cette retenue pourra frustrer ceux qui attendaient un Shakespeare flamboyant, mais c’est précisément l’idée. Le film ne veut pas d’un écrivain héroïque, plutôt d’un homme un peu lâche, souvent absent, qui ne sait pas quoi faire de sa culpabilité. Mescal joue sur les nuances, sur les micro-réactions, sur les regards fuyants.
Le duo Buckley Mescal fonctionne par contraste. Elle brûle, lui étouffe. Elle hurle avec son corps entier, lui se fissure à peine en surface. Le couple n’offre pas de grandes scènes de confrontation théâtrales, mais un éloignement progressif, puis quelques éclats, toujours rattrapés par la pudeur.
Le jeune Hamnet, présence fragile qui hante le film
Le jeune interprète du rôle d’Hamnet marque les esprits avec un personnage vivant, joueur, très concret, loin de l’enfant déjà sanctifié. Le film prend le temps de le montrer dans des scènes simples, jeux de fratrie, courses dans les bois, complicité avec sa mère, de sorte que sa disparition ne reste pas un concept, mais une perte tangible.
Le spectateur comprend très vite que cette absence va hanter chaque plan, chaque silence, jusqu’à la dernière image du film.
Une partie de la critique internationale a reproché au film de verser dans ce que certains appellent le grief porn. Hamnet ne recule effectivement pas devant la souffrance. Les scènes de deuil sont longues, répétées, parfois difficiles à regarder.
Mais le film ne cherche jamais à flatter le public ni à le prendre en otage. Il ne propose pas de catharsis facile, pas de grande tirade qui viendrait tout expliquer. Au contraire, la douleur est montrée dans son aspect brut, quotidien, presque banal, ce qui la rend encore plus écrasante.
On suit Agnes dans les démarches, dans les rituels, dans ces petits gestes qui n’ont plus de sens. Le film s’inscrit ainsi dans une vague récente de longs métrages qui interrogent frontalement l’expérience de la perte, sans filtre ni mise à distance confortable.
Faut il aller voir Hamnet
Si tu cherches un divertissement léger, je te le dis tout de suite : NON
Si tu es prêt ou prête à encaisser un film qui serre la gorge, qui prend son temps, qui regarde en face la perte d’un enfant et tout ce qu’elle détruit autour, alors OUI, il faut se déplacer.
Pour Jessie Buckley, d’abord, qui livre peut être le rôle de sa carrière. Pour Paul Mescal, ensuite, dans un registre moins spectaculaire mais d’une grande finesse. Pour la mise en scène de Chloé Zhao, enfin, qui prouve qu’elle n’a rien perdu de son sens du réel ni de sa capacité à filmer les gens au plus près.
Hamnet est de ces films qui laissent une trace, pas forcément agréable, mais persistante. On sort de la salle un peu sonné, comme si l’on avait traversé un chagrin qui n’était pas le nôtre, mais qu’on avait accepté de porter pendant deux heures.
