Moscou prépare un nouveau coup de semonce contre les grandes plateformes occidentales. Cette fois, c’est WhatsApp, la messagerie la plus utilisée du pays, qui pourrait disparaître. En cause : sa maison-mère Meta, qualifiée d’« organisation extrémiste » et la volonté du Kremlin de promouvoir sa propre application nationale.
Un message lancé sur Telegram, une déclaration à l’allure de sentence. Le vendredi 18 juillet dernier, Anton Gorelkin, vice-président de la commission parlementaire russe en charge des technologies de l’information, a annoncé que WhatsApp devait « se préparer à quitter le marché russe ». Pour cet élu influent du parti de Vladimir Poutine, l’affaire est entendue : la célèbre messagerie de Meta est devenue indésirable.
La Russie ne s’en cache plus : après Facebook et Instagram, bannis en 2022 et dont la société mère a été classée « extrémiste » par la justice russe, c’est désormais WhatsApp qui est dans le viseur. À en croire plusieurs sources proches du Kremlin, citées par le média indépendant Meduza, il y aurait « 99 % de chances » que l’application soit bloquée dans les semaines à venir.
Le crépuscule d’un outil populaire
WhatsApp est aujourd’hui l’un des services les plus plébiscités par les Russes : près de 70 % de la population adulte y a recours quotidiennement, selon les données compilées par VCIOM, l’institut de sondage public. Son succès repose sur une promesse de confidentialité , grâce au chiffrement de bout en bout et une grande simplicité d’usage.
Mais pour Moscou, ce succès s’est transformé en enjeu de souveraineté numérique. « WhatsApp appartient à Meta, une entreprise étrangère jugée hostile », martèle Anton Gorelkin. En toile de fond, le gouvernement russe veut imposer une alternative nationale, baptisée Max, développée par le groupe VK ; un mastodonte de l’internet russe déjà propriétaire de VKontakte, le « Facebook local ».
Max, le futur « super-app » à la russe

Depuis plusieurs mois, l’État pousse ce nouveau service. Max n’est pas qu’une messagerie : il ambitionne de devenir un écosystème numérique complet, à l’image de WeChat en Chine. Paiements, prise de rendez-vous administratifs, messagerie, vidéoconférences, outils professionnels… L’application est conçue pour centraliser toutes les interactions numériques, avec un lien direct aux services de l’État via Gosuslugi, le portail public russe.
Le gouvernement ne s’en cache pas : à partir du 1er septembre 2025, Max sera installée par défaut sur tous les téléphones, tablettes et ordinateurs vendus en Russie. Une obligation légale, votée début juillet par la Douma, qui s’inscrit dans la vaste stratégie du Kremlin visant à créer une « sphère numérique souveraine ».
Censure renforcée, VPN réprimés
L’annonce du potentiel bannissement de WhatsApp ne s’est pas faite seule. Le 22 juillet, un nouveau texte de loi particulièrement sévère est entré en vigueur. Il prévoit des sanctions à l’encontre des internautes qui recherchent ou consultent en ligne des « contenus extrémistes », notamment via l’usage de VPN.
Là encore, la volonté de l’État est claire : fermer les dernières brèches permettant d’accéder à l’internet mondial non filtré. Déjà, Apple a été contraint de retirer certaines applications VPN de son App Store russe. Désormais, même l’acte de chercher une méthode de contournement sur Google ou Yandex pourrait être assimilé à un délit.
Le texte ajoute une précision inquiétante : utiliser un VPN pour accéder à un service désigné comme extrémiste pourrait constituer une circonstance aggravante, renforçant la peine encourue. Si WhatsApp rejoint officiellement cette liste, ses utilisateurs en infraction pourraient donc être poursuivis.
Une stratégie de verrouillage du web
Depuis le début du conflit en Ukraine en 2022, la Russie a considérablement durci son arsenal législatif pour resserrer l’étau sur l’internet libre. Plateformes étrangères bloquées, lois sur la « désinformation », surveillance accrue : Moscou construit pierre par pierre un « Runet » , « internet russe » autosuffisant et sous contrôle.
Avec Max, l’État poursuit une logique de centralisation. L’application n’est pas seulement un outil de communication : elle permet aussi une surveillance à grande échelle, selon plusieurs ONG russes et occidentales. Localisation des utilisateurs, contenus des messages, connexions aux services publics… autant de données sensibles désormais accessibles aux autorités.
Telegram, la grande exception ?
Curieusement, Telegram, pourtant fondée par le Russe Pavel Durov et longtemps critiquée par le pouvoir, reste accessible. Ce paradoxe s’explique en partie par sa popularité et son statut hybride : très utilisé par l’opposition mais aussi… par les institutions russes elles-mêmes, y compris les services de presse du gouvernement.
Là encore, la position de Moscou reste ambivalente : tant que Telegram ne fait pas obstacle au pouvoir, il est toléré. WhatsApp, en revanche, paie le prix de son origine occidentale et de sa gestion par Meta, entreprise perçue comme l’incarnation d’un « internet libéral », honni par le Kremlin.
Quels scénarios possibles ?
À l’heure actuelle, aucune date précise n’a été annoncée pour l’interdiction de WhatsApp. Toutefois, plusieurs signaux laissent penser que le bannissement pourrait intervenir d’ici la fin de l’été, juste avant l’installation massive de Max sur tous les nouveaux appareils électroniques russes.
Dans les faits, les autorités pourraient agir comme pour Instagram ou Facebook : en ordonnant aux opérateurs de bloquer les serveurs de l’application, rendant son accès impossible sans VPN. Une opération qui, dans le contexte actuel de répression numérique, serait difficile à contourner pour l’utilisateur moyen.
Un choix imposé
Derrière cette affaire se joue le basculement d’un pays tout entier vers un écosystème numérique contrôlé. À l’heure où de nombreux États cherchent à réguler davantage le numérique, la Russie, elle, trace une ligne plus radicale : celle de la coupure.
Pour les millions d’utilisateurs de WhatsApp en Russie, le message est limpide : changez d’outil ou faites face aux conséquences. Et pour le reste du monde, l’avertissement est tout aussi clair : la fracture numérique ne cesse de s’élargir.