King of Geek » « Mektoub, My Love : Canto Due », Kechiche rejoue la loi du désir, plus vif, plus drôle et (beaucoup) moins sulfureux

« Mektoub, My Love : Canto Due », Kechiche rejoue la loi du désir, plus vif, plus drôle et (beaucoup) moins sulfureux

par Geekette
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Mektoub My Love Canto Due

Le contexte. Six ans après Intermezzo et une décennie après la Palme d’Or de La Vie d’Adèle, Abdellatif Kechiche livre enfin le troisième mouvement de sa saga méditerranéenne. Mektoub, My Love : Canto Due arrive en première mondiale et en compétition au Festival de Locarno. C’est peu dire que l’attente était électrique : on parle du cinéaste français le plus récompensé de sa génération… et l’un des plus discutés.

Le pitch. On retrouve Amin à Sète, tout juste revenu de Paris, bloc-notes en poche et cinéma en tête. Une rencontre inattendue avec un producteur américain en vacances change la donne : le script d’Amin — au beau titre quasi-manifeste — attise les convoitises et remet en jeu la petite bande que l’on suit depuis Canto Uno. Les trajectoires sentimentales se croisent, les ambitions s’entrechoquent et le destin, (ce fameux “mektoub”) s’invite pour rebattre les cartes.


Ce qui change (et ce qui ne change pas)

On reconnaît immédiatement la matière Kechiche : conversations qui fusent, chaleur des corps et des voix, obsession de la lumière méditerranéenne, amour des détails qui disent la vie (un geste, une mèche, un plat qu’on partage). Mais cette fois, la mécanique est plus nerveuse : Kechiche raccourcit la voilure (2h14), accélère les virages dramaturgiques, accroît la dose d’humour « parfois féroce » et laisse filer une mélancolie douce-amère, incarnée à l’écran par une actrice dont la vulnérabilité aimante la caméra. Les rires jaillissent là où on ne les attendait pas, avant un dernier tiers plus sombre, tendu comme un fil.

Surtout, Canto Due s’éloigne d’Intermezzo : aucune scène en boîte de nuit, une seule scène de sexe (et nettement moins explicite), moins de nudité et un regard plus concentré sur les désirs que sur leur représentation crue. Pour un cinéaste souvent attaqué sur son « male gaze », le déplacement est notable : la sensualité passe par les visages, les silences, les quiproquos. Le désir reste le grand sujet ; mais déporté vers l’attente, la projection, le fantasme, l’idée même de cinéma.

Mektoub My Love Canto Due
Mektoub My Love Canto Due

Un film d’été… en septembre

La trilogie a toujours épousé un rythme saisonnier. Ici, on a quitté la torpeur juillet-août de Canto Uno : septembre s’installe et avec lui l’ombre portée des choix qu’on a remis au lendemain. Sète n’a jamais semblé autant à terre : moins de plage, plus de ruelles, de restaurants, de tables où on parle, on mange, on se jauge. On devine au son comme à l’image un objectif : retrouver un “film d’été” apaisé, tout en laissant monter la tension. Le travail sonore, limpide et vivant, donne de la chair aux scènes chorales : on entend tout, sans perdre le fil et l’on sourit à cette sensation d’être assis à la table d’à côté.


La bande et les nouveaux venus

Côté casting, le noyau dur répond présent : Shaïn Boumedine (Amin), Ophélie Bau (Ophélie), Salim Kechiouche (Tony). Le film fait entrer un producteur américain (Andre Jacobs) et sa compagne-actrice (Jessica Pennington), duo de cinéma dans le cinéma qui pimente les rapports de force. Salim Kechiouche rappelle qu’il a un tempérament comique sous-employé : sa manière de jouer la fanfarone en roue libre qui finit par se prendre les pieds dans ses propres mensonges apporte des moments très drôles. Et lorsque la dramaturgie se resserre, chacun laisse affleurer des gris : fêlures, renoncements, loyautés contrariées.


Une écriture “à la Kechiche” : Marivaux, sitcom et thriller

Le cinéaste marivaude comme rarement : il aime les pièges du langage, les sous-entendus, les malentendus qui font dérailler un plan bien huilé. À ce jeu, Canto Due surprend par des changements de ton maîtrisés : on glisse d’un quasi-vaudeville à un thriller sentimental, avec un petit goût de sitcom borderline qui n’a pas peur de l’embarras (le “cringe” comme révélateur social). L’écriture embrasse l’instant : on laisse gonfler une scène, puis une réplique pince-sans-rire vient en percer la bulle et la tragédie « jamais loin » s’installe par capillarité.


Hors écran : un retour empêché, puis possible

Difficile de parler de Canto Due sans rappeler le parcours d’obstacles. Tournée en 2016-2017 dans la foulée de Canto Uno, la suite a connu les limbes : Intermezzo (présenté en 2019 à Cannes) a laissé derrière lui polémiques et litiges, à commencer par des droits musicaux exorbitants liés aux séquences en club qui ont plombé sa sortie. Le troisième volet, lui, est resté des années en montage, au gré des versions, avant de réapparaître aujourd’hui, débarrassé de la boîte de nuit et recentré sur l’élan romanesque.

À l’heure de Locarno, l’état de santé du cinéaste a aussi pesé : victime d’un AVC en mars, Kechiche n’a pas fait le déplacement, mais sa présence “hors-champ” se devine : le film a été achevé récemment et l’on sait qu’il a tenu à veiller sur les ultimes étapes de mixage et d’assemblage. Sur place, la troupe tient la barre, rencontre le public et assume ce “troisième temps” comme un vrai film et non un appendice.

Mektoub My Love Canto Due
Mektoub My Love Canto Due

La salle : rires, silence… puis applaudissements

Projection de presse, rires francs à plusieurs reprises, tension dans le dernier acte et, fait assez rare à Locarno, applaudissements nourris au générique. Le signe que Canto Due trouve son public, y compris parmi celles et ceux que Intermezzo avait rebutés. On sort avec ce sentiment paradoxal : Kechiche rugit encore, mais il a modulé sa voix. Il signe un film plus accessible, plus court, plus romanesque, sans renier sa grammaire : désir, parole, micro-événements qui font basculer une vie.


Et la suite ?

Pour l’instant, aucune date de sortie n’est annoncée en France. Le distributeur historique reste Pathé et beaucoup dépendra de l’accueil à Locarno. En coulisse, on entend parler d’un making of rêvé sur cette aventure XXL et d’un Canto Tre qui flotte encore comme une promesse. Rien d’officiel : Canto Due est traité comme une fin possible et c’est aussi, sa beauté : cette fin ouverte qui ressemble à la vie.


Verdict (Geekette, sans filtre)

Mektoub, My Love : Canto Due réussit un numéro d’équilibriste : tenir le fil du désir « moteur initial de la trilogie » tout en apaisant la mise en scène des corps. C’est drôle quand il faut, cruel quand il le faut, sensible partout. Boumedine confirme qu’Amin est un des beaux personnages du cinéma français récent et Bau impose une fragilité magnétique. On peut ne pas aimer Kechiche, on peut débattre de ses méthodes ; on ne peut pas nier que le cinéma « le sien » reste vivant ici. Et, en 2025, ça compte.


Fiche express du Film :

  • Titre : Mektoub, My Love : Canto Due
  • Réalisation / Scénario : Abdellatif Kechiche (avec Ghalya/Ghalia Lacroix au co-scénario)
  • Pays / Année : France, 2025
  • Langues (VO) : français, anglais, arabe
  • Durée : 2h14
  • Section : Compétition internationale , Locarno 2025
  • Avec : Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche, Jessica Pennington, Andre Jacobs et d’autres visages déjà croisés dans la saga

Sources:

  • Sélection en compétition à Locarno 2025, première mondiale le 9 août 2025 ; fiche officielle confirmant durée (134’) et VO (français/anglais/arabe).
  • Synopsis (Amin, producteur américain, projet « The Essential Elements of Universal Existence ») recoupé par Locarno et bases filmographiques.

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