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Une étoile en laboratoire: l’exploit britannique qui relance le rêve de la fusion propre

par KingofgeeK
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fusion nucléaire - Tokamak ST40

Oxford, 17 octobre 2025. Dans un hall discret de la périphérie d’Oxford, une caméra couleur à très haute vitesse a saisi la danse d’un plasma porté à des dizaines de millions de degrés. La scène, hypnotique, a fait le tour des laboratoires: une matière rose incandescente, puis des traînées verdâtres qui épousent des lignes invisibles. Pour les physiciens de Tokamak Energy, il s’agit bien plus qu’un joli film. C’est un outil de diagnostic essentiel et un symbole. La course à la fusion contrôlée, cette promesse d’une énergie quasi illimitée et bas carbone, vient de gagner en visibilité et en précision.

Ce que montrent vraiment ces nouvelles images

La machine ST40, un tokamak de forme sphérique, n’a pas pour objet de produire de l’électricité, mais de comprendre et stabiliser le plasma, ce quatrième état de la matière qui nargue les matériaux les plus résistants. Sur les séquences récemment diffusées, les chercheurs injectent des poudres de lithium dans l’enceinte magnétique. Au contact du plasma, le lithium rayonne dans des couleurs distinctes, un véritable fil d’Ariane lumineux qui trahit son cheminement le long des lignes de champ magnétique. En clair, on voit la physique à l’œuvre. Cette visualisation immédiate confirme et enrichit des mesures plus fines, issues de la spectroscopie et renseigne sur la pénétration du lithium vers le cœur du plasma comme sur la présence d’impuretés.

À la manœuvre, une caméra couleur capable d’enregistrer des milliers d’images par seconde. Elle ne se contente pas de belles vues: elle accélère le cycle essai-erreur en permettant aux équipes d’identifier en temps réel si l’agrégat de lithium ou le gaz traceur rayonne bien à l’endroit attendu. À ce niveau de température et de turbulence, quelques millimètres de décalage suffisent à fausser une configuration expérimentale. Ici, chaque nuance a un sens.

Pourquoi le lithium est au centre du jeu

Dans les tokamaks, la zone dite de divertor, là où le plasma effleure les matériaux, concentre les problèmes: chaleur extrême, flux de particules, érosion des parois. L’une des pistes explorées consiste à utiliser le lithium pour modifier la physique du bord du plasma et favoriser des régimes d’évacuation de puissance plus supportables pour les matériaux. On parle notamment d’états dits X-point radiator, où une part de l’énergie est rayonnée avant d’atteindre les composants exposés.

Sur ST40, l’expérience est doublement intéressante. D’une part, l’injection de lithium peut améliorer la compatibilité entre bon confinement et limitation des charges thermiques. D’autre part, le lithium est le matériau avec lequel, à terme, on envisage de produire le tritium, isotope indispensable du mélange de combustibles deutérium-tritium dans les futures centrales à fusion. Voir comment il se propage et interagit dans un plasma réaliste est donc une information stratégique.

Un programme de 52 millions de dollars pour franchir un cap

Ces images ne tombent pas du ciel. Elles s’inscrivent dans une feuille de route plus large: une modernisation de la ST40 à hauteur de 52 millions de dollars, engagée avec le Département américain de l’Énergie et le ministère britannique de la Sécurité énergétique et de la Neutralité carbone. Plusieurs volets sont au programme, dont des travaux sur les matériaux faisant face au plasma, la mise en œuvre de revêtements au lithium et l’installation de nouveaux diagnostics. L’objectif est clair: bâtir des connaissances et des briques technologiques pour un pilote de fusion plus ambitieux dans les prochaines années.

L’alliance public-privé est l’autre clé. En partageant l’accès aux installations et les résultats, les partenaires veulent accélérer les cycles de tests et réduire le coût d’apprentissage. Ce modèle, longtemps cantonné aux grands laboratoires nationaux, s’étend désormais aux entreprises privées de la fusion, signe d’un secteur qui change d’échelle.

La physique derrière l’image: chaleur, densité, temps

La fusion contrôlée se résume souvent à un triptyque: température, densité, temps de confinement. Il faut chauffer des noyaux d’hydrogène à des températures supérieures à celles du cœur du Soleil, suffisamment les rapprocher et les garder ensemble assez longtemps pour que la probabilité de fusion devienne significative. Mais chaque paramètre se paie. Hausser la température favorise la réaction, au prix d’une agitation accrue qui tend à faire s’échapper l’énergie. Renforcer le champ magnétique améliore le confinement, au prix de contraintes mécaniques et cryogéniques considérables sur les bobines, d’où le recours croissant aux supraconducteurs à haute température critique.

Le tokamak sphérique, configuration choisie pour ST40, promet une compacité et une efficacité magnétique intéressantes, même si elle impose des défis d’intégration. Couplée à des aimants supraconducteurs nouvelle génération, cette architecture figure parmi les voies crédibles vers des machines de puissance à l’horizon des années 2030.

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Ce qui change pour la communauté scientifique et pour l’industrie

La diffusion de ces séquences n’a rien d’un coup de communication isolé. Elle témoigne d’une maturité nouvelle des diagnostics sur petits dispositifs rapides à itérer. Avec une caméra couleur haute cadence, l’équipe corrèle ce qu’elle voit avec ce que disent les capteurs infrarouges, les spectromètres, les analyseurs de particules neutres récemment déployés. On resserre ainsi l’étau sur les incertitudes qui freinent la montée en régime des plasmas et la durée des décharges.

Pour l’industrie, chaque progrès de ce type réduit l’écart entre la physique expérimentale et l’ingénierie d’un futur pilote. Mieux comprendre le bord du plasma, c’est dimensionner plus justement les matériaux, déterminer les séquences d’injection, définir les marges des systèmes de contrôle. C’est, in fine, gagner du temps et de l’argent.

Garder la tête froide: ce que cette avancée n’est pas

De telles annonces suscitent immanquablement l’enthousiasme. Elles alimentent parfois, aussi, l’idée d’une solution imminente. Prudence. Aucune caméra, aussi sophistiquée soit-elle, ne règle seule la question du bilan énergétique net, ni celle de la robustesse des matériaux face à des flux de neutrons intenses. Les contraintes d’exploitation, la maintenance à distance, la production et le recyclage du tritium restent des chantiers lourds. L’exploit d’Oxford est un pas mesurable et utile, pas l’ultime marche.

Une dynamique britannique assumée

Le Royaume-Uni, riche d’une longue tradition dans la fusion magnétique, entend conserver un rôle de premier plan dans l’ère qui s’ouvre. En renforçant les ponts avec les États-Unis et en mobilisant entreprises, laboratoires et universités, Londres veut sécuriser une souveraineté technologique et industrielle, tout en attirant des financements privés. L’annonce sur ST40 s’inscrit dans cette pédagogie de la preuve: montrer que des résultats concrets surviennent, à cadence régulière et nourrissent une trajectoire crédible vers la démonstration préindustrielle.

Et maintenant

Les prochains mois diront si les régimes explorés avec le lithium tiennent leurs promesses sur des temps plus longs et des états de plasma plus exigeants. Les équipes de Tokamak Energy, elles, poursuivent un programme serré: consolidation des diagnostics, raffinement des modèles et surtout boucles d’itération rapides entre observation, simulation et essai. Au bout de la chaîne, une même idée guide les choix techniques: faire converger, sans fioritures, les performances du plasma et la ténacité des matériaux pour qu’un pilote de fusion soit non seulement possible, mais opérable.

Plus d’infos sur le site de Tokamak Energy

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