C’est une onde de choc dans le monde du jeu vidéo. L’éditeur américain Electronic Arts (EA), célèbre pour ses franchises planétaires comme FIFA (désormais EA Sports FC), Les Sims, Battlefield ou encore Need for Speed, va passer sous pavillon étranger. Un consortium composé du Fonds public d’investissement saoudien (PIF), du fonds technologique Silver Lake et de la société Affinity Partners, dirigée par Jared Kushner, le gendre de l’ancien président américain Donald Trump, a conclu un accord de rachat pour 55 milliards de dollars, soit près de 47 milliards d’euros.
Cette transaction marque le plus important rachat par effet de levier jamais enregistré sur les marchés financiers. Le conseil d’administration d’Electronic Arts a approuvé l’opération, qui reste toutefois suspendue à l’approbation des actionnaires et à la validation des autorités de régulation. Si le calendrier est respecté, la transaction sera finalisée d’ici le premier trimestre de l’exercice fiscal 2027.
Un trio aux ambitions géopolitiques et économiques
Le montage financier, d’une complexité impressionnante, repose sur une combinaison de capitaux propres et de dettes, avec le soutien de grands établissements bancaires. Les actionnaires recevront une prime attractive, à hauteur de 210 dollars par action, bien au-dessus des niveaux observés avant l’annonce.
Derrière cette acquisition, se trouvent trois acteurs aux profils aussi différents que complémentaires.
Le Fonds public d’investissement d’Arabie saoudite, bras financier du royaume, continue d’affirmer ses ambitions dans l’industrie du divertissement. Déjà détenteur de parts dans Nintendo, Capcom ou Embracer et propriétaire de l’éditeur Scopely, le PIF mise sur les licences d’EA pour renforcer son influence dans le domaine du jeu vidéo et de l’e-sport. Il organise déjà la Coupe du monde de jeu vidéo (Esports World Cup) et accueillera les premiers Jeux olympiques de l’e-sport en 2027 à Riyad.
Le fonds Silver Lake, quant à lui, est un habitué des grandes opérations dans la tech. On lui doit notamment des participations dans Dell ou Skype. Sa présence dans ce rachat apporte à l’ensemble une expertise reconnue en matière d’innovation numérique et de restructuration d’entreprises technologiques.
Enfin, Affinity Partners, entité fondée par Jared Kushner, apporte une touche géopolitique à cette opération. Ancien conseiller de Donald Trump à la Maison-Blanche, Kushner confirme son influence croissante dans les sphères financières et industrielles. Sa participation illustre une volonté de peser sur les industries culturelles stratégiques à l’échelle mondiale.
Une industrie du jeu vidéo en pleine transformation
Ce rachat ne survient pas par hasard. Depuis la fin des confinements, le secteur du jeu vidéo connaît un ralentissement. Après des années de croissance explosive, les éditeurs doivent désormais composer avec une stagnation des revenus, une compétition accrue et une transition vers de nouveaux modèles économiques.
EA n’échappe pas à cette tendance. Ses revenus stagnent depuis trois exercices fiscaux, entre 7,4 et 7,6 milliards de dollars. En 2024, l’entreprise a supprimé près de 5 % de ses effectifs, soit environ 800 postes. Sa filiale BioWare, historiquement liée aux jeux de rôle de qualité, a été ébranlée par l’échec critique et commercial du dernier Dragon Age.
Dans ce contexte, le rachat apparaît comme une réponse stratégique. En sortant de la Bourse, Electronic Arts se libère de la pression des marchés et pourra, en théorie, restructurer son modèle à l’abri des regards. L’objectif : retrouver de la rentabilité en investissant dans les services en ligne, les abonnements et les jeux multijoueurs à forte monétisation.
Une consolidation accélérée du secteur
L’acquisition d’EA s’inscrit dans une tendance de fond. Ces dernières années, l’industrie vidéoludique a connu une vague de fusions et acquisitions sans précédent. En 2022, Take-Two avait mis la main sur Zynga pour 12,7 milliards de dollars. Un an plus tard, Microsoft annonçait le rachat d’Activision Blizzard pour 69 milliards, déclenchant un séisme réglementaire et judiciaire. À la lumière de ces précédents, le rachat d’Electronic Arts s’impose comme un nouvel épisode clé dans la reconfiguration du paysage vidéoludique mondial.
Avec ce rachat, EA rejoint le cercle des géants contrôlés par des fonds d’investissement puissants. La structure du marché se concentre un peu plus, laissant entrevoir un avenir où les grands éditeurs seront de plus en plus rares à rester indépendants.
Un avenir incertain pour les licences phares
EA détient certaines des licences les plus lucratives et reconnues du secteur. Chaque année, EA Sports FC (ex-FIFA) est le jeu le plus vendu en France. La série Madden NFL, dédiée au football américain, domine le marché nord-américain. Les simulations de hockey (NHL), de golf (PGA Tour) ou de Formule 1 (F1) complètent cette panoplie, désormais essentielle dans l’univers e-sportif.
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L’acquisition pourrait renforcer la visibilité de ces titres dans les compétitions sponsorisées par l’Arabie saoudite. Mais elle soulève aussi des interrogations sur la direction artistique et éditoriale future. Des franchises cultes comme Les Sims, Battlefield, Apex Legends ou encore Mass Effect verront-elles leurs ambitions modifiées ? Le passage au privé pourrait signifier davantage d’expérimentations… ou au contraire une rationalisation brutale.

Entre opportunité et prudence
Si le rachat d’Electronic Arts apparaît comme une opportunité financière colossale pour ses actionnaires et ses dirigeants, son impact à long terme reste à déterminer. L’opération est soumise à l’approbation d’autorités réglementaires qui scruteront de près la prise de contrôle d’un acteur stratégique américain par des fonds étrangers.
Sur le terrain, développeurs et salariés s’interrogent. Certains redoutent une perte d’autonomie créative, d’autres espèrent au contraire une relance des investissements dans les licences délaissées ou les nouvelles franchises.
Quant aux joueurs, ils pourraient ne percevoir aucun changement à court terme. Mais les décisions prises dans les prochains mois façonneront durablement le visage de l’un des éditeurs les plus influents de ces quatre dernières décennies.