ARTE consacre sa case ciné de 21 h à Jugé coupable ( True Crime en VO ), thriller américain réalisé et interprété par Clint Eastwood à la fin des années 90. Le film raconte l’ultime journée d’un condamné à mort et d’un journaliste qui décide, un peu tard, de vérifier si la justice ne s’est pas trompée de coupable.
Le long métrage n’a pas la réputation d’Impitoyable, Mystic River ou Gran Torino, mais il fait partie de ces œuvres de transition où le cinéaste commence à délaisser les flingues pour regarder de près les failles humaines, les regrets, les remords.
Et pour les couche-tard, la chaîne prolonge la soirée avec un documentaire consacré à Eastwood, annoncé dans la grille comme un portrait de la dernière grande légende hollywoodienne encore en activité. Autrement dit, un programme double idéal pour réviser vos classiques.
De quoi parle Jugé coupable
L’action se déroule en Californie, autour du journal local d’Oakland. Steve Everett, journaliste vétéran, traîne un CV peu glorieux : alcoolisme, infidélités, réputation de collègue ingérable. On lui confie un sujet que personne ne veut vraiment faire : le portrait d’un condamné à mort, Frank Beechum, exécuté le soir même pour le meurtre d’une jeune caissière enceinte.
Sur le papier, Everett doit simplement écrire un joli papier de dernière heure, un article sensible qui accompagnera la mise à mort. Mais quelques détails lui sautent aux yeux : un témoignage bancal, une arme jamais retrouvée, des contradictions dans l’enquête initiale. Ce qui devait être une formalité devient alors une course désespérée pour vérifier si, oui ou non, l’homme que l’on s’apprête à tuer est réellement coupable.
Adapté d’un roman d’Andrew Klavan publié en 1995, le film suit cette journée presque en temps réel, du réveil douloureux du journaliste à l’heure fatidique de l’exécution.
Steve Everett, loser magnifique
Eastwood s’est taillé un rôle sur mesure avec Steve Everett. Oubliez le héros impeccable ou le cowboy invincible. Ici, il incarne un type fatigué, qui a abusé de l’alcool, enchaîné les erreurs et qui a déjà épuisé toute la patience de son entourage.
Everett, c’est le genre de collègue qui arrive en retard, qui sème le chaos dans la conférence de rédaction et qui a toujours une mauvaise blague en stock. Sa vie privée est un champ de ruines : couple en vrac, relation compliquée avec sa fille, réputation de séducteur foireux. Mais sous la crasse, il reste un instinct de vrai journaliste, ce flair qui se met à vibrer dès qu’un détail ne colle pas.
C’est cette contradiction permanente qui rend le personnage attachant. On a devant les yeux un homme qui n’a pas été un bon mari, pas vraiment un bon père et pas toujours un bon collègue, mais qui refuse soudain de laisser un homme mourir dans le doute. Ce besoin de rattraper une fois dans sa vie ce qu’il a raté ailleurs donne au film sa colonne vertébrale émotionnelle.
Dans la grande galerie des personnages eastwoodiens, Everett rejoint ces figures de losers magnifiques, un peu minables mais profondément humains, qu’on retrouvera plus tard sous d’autres formes, de Million Dollar Baby à Gran Torino.
LE compte à rebours
Narrativement, Jugé coupable repose sur un mécanisme très simple : il reste quelques heures avant l’injection létale et chaque minute compte. Pas de gadgets, pas de technologie clinquante, pas de scènes d’action outrancières. Juste un homme, une voiture, un téléphone qui sonne, des couloirs de prison et des bureaux de rédaction.
Eastwood filme la ville comme un labyrinthe très concret : routes encombrées, portes qui se referment, procédures administratives, surveillants bornés. La tension vient de tout ce qui ralentit Everett : un chef de rubrique qui lui met des bâtons dans les roues, des témoins qui ont tourné la page, une machine judiciaire qui ne sait plus faire marche arrière.
Contrairement à beaucoup de thrillers contemporains, le suspense ne repose pas sur un retournement spectaculaire en dernière bobine, mais sur l’accumulation de petits obstacles et sur l’angoisse de l’horloge. Une manière de dire que la vraie brutalité ne vient pas seulement du crime, mais aussi de l’inertie d’un système.

Impossible de parler de Jugé coupable sans évoquer son rapport à la peine de mort. En suivant presque heure par heure la dernière journée de Frank Beechum, Eastwood met le spectateur dans une position très inconfortable : on assiste à la mécanique parfaitement huilée d’une exécution pendant qu’un doute grandit sur la culpabilité du condamné.
Sans faire de grand discours, le film montre le couloir de la mort comme une routine glaciale : les procédures médicales, les conversations avec les gardiens, la visite de la famille, les vérifications administratives. Tout est cadré, réglé, presque banal. Et c’est justement cette banalisation qui glace.
Le personnage de Frank, jeune père de famille noir au passé de petit délinquant, renvoie aussi à la question des biais raciaux et sociaux du système judiciaire américain. Un homme qui s’est rangé, qui a fondé une famille, mais dont le cas a été expédié trop vite par un système pressé de trouver un coupable.
On est loin du film à thèse démonstratif. Eastwood préfère filmer des regards, des silences, des gestes très concrets : une main qui tremble, une épouse qui se raccroche à la moindre lueur d’espoir, une petite fille qui essaie de comprendre ce qui arrive à son père. Cette approche modeste rend la critique d’autant plus forte.
Un échec commercial devenu film à redécouvrir
Lors de sa sortie à la fin des années 90, Jugé coupable n’a pas vraiment trouvé son public. Le film a coûté cher et n’a pas remboursé son budget au box-office mondial, faisant partie des rares revers commerciaux de Clint Eastwood à cette période.
Les critiques de l’époque étaient partagées. Certains saluaient la sobriété de la mise en scène et l’interprétation du cinéaste, d’autres reprochaient au film son rythme nonchalant et une résolution jugée trop prévisible.
Avec le temps, la perception a changé. Revu à l’ère des séries true crime, des documentaires sur les erreurs judiciaires et des débats récurrents sur la peine de mort, Jugé coupable apparaît presque en avance sur son époque. Il ne se contente pas de jouer avec les codes du polar, il interroge notre rapport à la vérité et à la responsabilité, des journalistes comme des institutions.
C’est d’ailleurs typiquement le genre de film qui gagne à être revu à la télévision : on se laisse happer par le suspense tout en prenant le temps de digérer ce qu’il raconte en creux.
Les obsessions d’Eastwood déjà en place
En 1999, Clint Eastwood n’a pas encore livré Mystic River ni Gran Torino, mais Jugé coupable porte déjà en lui ce qui fera la force de son cinéma des années 2000.
On retrouve plusieurs de ses thèmes fétiches :
- La figure de l’homme vieillissant qui se confronte à ses erreurs passées
- La question de la culpabilité, réelle ou supposée
- La confrontation entre l’individu et un système plus grand que lui
- L’idée que la rédemption ne passe pas par un geste héroïque, mais par un effort, parfois tardif, pour faire ce qui est juste
La mise en scène, sans effets voyants, privilégie la clarté narrative et les visages. Eastwood ne cherche pas à révolutionner le langage du thriller, il préfère travailler dans une forme classique, presque old school, qui colle parfaitement à ce récit de journaliste obstiné.
Le film est aussi une affaire de famille : le cinéaste dirige sa fille Francesca, qui joue la fille de Steve Everett et croise également d’autres proches dans la distribution.
Si Eastwood occupe le centre de l’affiche, Jugé coupable s’appuie sur une belle distribution secondaire.
- Isaiah Washington apporte une grande dignité à Frank Beechum, prisonnier partagé entre la résignation et un mince espoir de voir son nom blanchi.
- Lisa Gay Hamilton, dans le rôle de Bonnie, son épouse, offre certaines des scènes les plus touchantes du film, notamment lors des visites au parloir.
- James Woods incarne le rédacteur en chef d’Everett, patron sarcastique et cynique, mais pas totalement dénué de loyauté. Le face-à-face entre les deux hommes dans le bureau est l’un des morceaux de bravoure du film.
- Denis Leary, lui, campe un collègue un peu trop lisse, qui symbolise une presse plus soucieuse de la ligne du journal que de la vérité.
À cela s’ajoutent plusieurs seconds rôles savoureux, qu’on se plaît à reconnaître au fil des scènes, du directeur de prison aux avocats, en passant par les gardiens. Jugé coupable n’est pas un film choral, mais il s’appuie clairement sur un ensemble de personnages dont les positions, les hésitations et les contradictions enrichissent le propos.
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