Le cofondateur de Twitter, Jack Dorsey, lance une nouvelle application de messagerie qui fonctionne sans connexion Internet. Bitchat, désormais disponible sur iOS, propose une alternative décentralisée et minimaliste pour communiquer en toute discrétion via Bluetooth. Une initiative saluée mais qui interroge quand même .
Jack Dorsey, grande figure de la Silicon Valley, n’en a pas fini avec l’expérimentation. Plus de deux ans après avoir quitté la direction de Twitter (rebaptisé X), l’entrepreneur américain revient sur le devant de la scène avec Bitchat, une application de messagerie instantanée fonctionnant sans internet, sans Wi-Fi et sans réseau mobile.
Développée en seulement quelques jours, selon les dires de son créateur, Bitchat exploite les connexions Bluetooth des smartphones pour créer un réseau maillé local , « un mesh network« , permettant de communiquer avec les personnes situées à proximité. Une technologie déjà éprouvée, mais rarement poussée à ce niveau d’ergonomie et de simplicité.
Une messagerie pensée pour fonctionner hors ligne
Le principe est aussi novateur que radical : Bitchat n’exige ni numéro de téléphone, ni adresse e-mail, ni identifiant quelconque. Une fois l’application ouverte, l’utilisateur est immédiatement propulsé dans un champ de texte où il peut consulter et envoyer des messages visibles par les autres utilisateurs à portée de Bluetooth ; soit environ 100 à 300 mètres selon les appareils.
« Aucun serveur central. Aucun login. Juste la proximité et la communication. »
Jack Dorsey sur X (Twitter)
L’utilisateur choisit un pseudonyme modifiable à tout moment. Les échanges se font en clair dans une sorte de salon de discussion local, ou dans des canaux privés créés par les usagers. L’ambition de Jack Dorsey : proposer une plateforme libre, autonome et résistante aux coupures de réseau.
Des usages concrets en situations extrêmes
Ce type d’outil n’est pas inédit, mais il prend un relief particulier à l’heure où les réseaux centralisés sont parfois défaillants ou volontairement coupés par les autorités. On se souvient de Bridgefy, utilisé lors des manifestations à Hong Kong, ou de FireChat, devenu populaire lors du festival Burning Man ou en Haïti après le tremblement de terre.
Dans ces contextes, les réseaux classiques sont saturés ou inopérants. Le Bluetooth prend alors le relais, permettant de relier les appareils entre eux, même sans infrastructure réseau.
En France, un tel système pourrait s’avérer précieux lors de rassemblements de grande ampleur (festivals, concerts, événements sportifs) ou en cas de catastrophe naturelle. Reste à voir si la densité d’utilisateurs sera suffisante pour rendre l’outil véritablement opérationnel.
Une application minimaliste mais sujette à débat
Bitchat, disponible gratuitement sur l’App Store depuis ce 29 juillet, se distingue par une interface épurée. Pas de bouton superflu, aucun système d’identification. La seule configuration possible réside dans le choix du nom affiché. Un minimalisme assumé, qui contraste fortement avec les messageries classiques comme WhatsApp, Telegram ou Signal.
Ce dépouillement fait aussi naître des inquiétudes. Le chercheur en sécurité Alex Radocea a souligné dans un billet de blog que l’application permet facilement l’usurpation d’identité, faute de mécanisme de vérification. En clair, n’importe qui peut se faire passer pour n’importe quel pseudonyme.
« En cryptographie, les détails comptent. Avoir de bonnes intentions ne suffit pas à garantir la sécurité », écrit-il.
Jack Dorsey a reconnu que Bitchat n’avait pas encore fait l’objet d’un audit de sécurité externe, admettant que des failles pouvaient exister.
Une version Android absente du Play Store
Autre point d’attention : l’application n’est pas encore disponible sur Android via Google Play. Seule une version téléchargeable sur GitHub est proposée à ce jour. Résultat, plusieurs applications frauduleuses imitant Bitchat sont déjà apparues sur la boutique Android, piégeant les utilisateurs non avertis. Dorsey s’est contenté de repartager sur X un message avertissant de la présence de ces contrefaçons, sans commentaire supplémentaire.
Un projet né d’une expérimentation audacieuse
Selon ses propres déclarations, Jack Dorsey a conçu Bitchat comme un projet personnel mené en quelques jours début juillet. Aidé par un assistant IA développé par sa société Block, baptisé Goose, il dit avoir expérimenté une méthode de programmation innovante qu’il appelle le « vibe-coding », c’est-à-dire la programmation guidée par l’intuition et le langage naturel, en étroite collaboration avec l’intelligence artificielle.
Le résultat : une application fonctionnelle en 48 heures, enrichie ensuite de fonctionnalités comme les messages privés ou les canaux fermés.
Décentralisation : un fil rouge chez Dorsey
Bitchat n’est pas un simple gadget. Elle s’inscrit dans une démarche cohérente avec les convictions de Jack Dorsey en matière de souveraineté numérique. Partisan de longue date de la décentralisation, fervent défenseur du Bitcoin, l’entrepreneur milite pour des outils indépendants des grandes plateformes, respectueux de la vie privée et résistants à la censure.
C’est dans cette logique qu’il avait soutenu le réseau social Bluesky, également basé sur une architecture décentralisée. Bitchat vient compléter ce tableau en ajoutant la brique de la messagerie instantanée.
Des perspectives limitées, mais un signal fort
Il serait naïf de penser que Bitchat peut remplacer les messageries classiques. Son usage est restreint par la nécessité d’être physiquement proche d’autres utilisateurs. Son adoption reste donc conditionnée à des contextes particuliers et son avenir incertain.
Mais l’application a le mérite de poser des questions fondamentales : à qui appartiennent nos communications ? Que se passe-t-il si les réseaux tombent ? Peut-on encore échanger librement sans dépendre d’un acteur central ?
Jack Dorsey n’apporte pas toutes les réponses, mais il propose un outil qui matérialise une idée forte : reprendre le contrôle sur ses échanges, même hors ligne.
Récap :
- Bitchat est une application de messagerie sans réseau, fonctionnant uniquement via Bluetooth.
- Elle est gratuite et disponible sur iOS (App Store), mais pas encore sur le Play Store Android.
- Aucun compte requis, aucune donnée personnelle enregistrée : la confidentialité est au cœur du projet.
- Des problèmes de sécurité ont été soulevés, notamment concernant l’usurpation d’identité.
- Le projet s’inscrit dans une volonté assumée de décentralisation et de résistance à la censure.