Il n’aura fallu que quelques mots pour relancer un vieux débat. Nigel Lowrie, cofondateur de Devolver Digital, estime que Grand Theft Auto 6 mérite l’étiquette de « AAAAA game ». Selon lui, GTA 6 dépasse tout ce qui existe en matière d’ampleur, d’échelle et d’impact culturel, au point d’aspirer l’attention du public et de l’industrie comme personne. « Il y a des jeux AAA et des jeux AAAA. Je dirais que Grand Theft Auto est potentiellement le jeu AAAAA. C’est plus grand que tout le reste, par la taille du jeu, son impact culturel et l’attention qu’il exige », explique-t-il
En filigrane, un aveu largement partagé chez les éditeurs et studios: tout le monde observe Rockstar avant de fixer ses propres dates. Lowrie raconte d’ailleurs avoir envisagé de bouger des sorties pour « éviter l’ombre » de GTA 6, en rappelant un principe simple: on ne joue pas avec la vie des équipes pour tester des hypothèses de calendrier.
D’où vient ce délire des A à rallonge
Le fameux « triple A » n’est pas un label officiel. ça a commencé vers la fin des années 1990 pour désigner des superproductions vidéoludiques à gros budget et forte ambition, par analogie avec la notation financière AAA dans l’univers des obligations et des agences de rating. Pour faire simple: AAA a longtemps voulu dire très cher à produire, très cher à promouvoir et attendu pour rapporter gros.
C'est quoi un jeu AAA ?
En 2024, Ubisoft a remis une pièce dans la machine en qualifiant Skull and Bones de « AAAA » afin de défendre un positionnement premium. La formule a alors suscité moqueries et débats, tant le résultat n’a pas été à la hauteur des attentes.
Le quintuplé proposé aujourd’hui pour GTA 6 s’inscrit dans cette surenchère. Il rappelle aussi un précédent plus léger: au printemps 2024, Karolina Gnaś, vice-présidente relations investisseurs chez CD Projekt, avait plaisanté en parlant de « AAAAA » pour tourner en dérision l’expression « AAAA ».
Au-delà du clin d’œil marketing, un fait domine: GTA 6 est devenu le point de gravité du calendrier 2025-2026. Des studios admettent réfléchir à déplacer des lancements pour ne pas se faire écraser médiatiquement. Chez Devolver, l’exemple Baby Steps illustre cette prudence: choisir une fenêtre plus dégagée, laisser aux équipes leur meilleur espace de visibilité, éviter un bras de fer perdu d’avance.
La raison est double. D’abord, l’empreinte culturelle de GTA dépasse la seule sphère du jeu: chaque nouveau volet dicte des conversations, nourrit des tendances et s’invite jusque dans les bilans financiers des géants du secteur. Ensuite, les cycles actuels de production, plus longs et plus risqués, rendent chaque fenêtre de sortie stratégique. Quand un mastodonte occupe le terrain, même des projets solides préfèrent s’écarter.
Un contexte 2025-2026 sous haute tension
Le paysage des gros projets a été chahuté ces derniers mois. Le reboot de Perfect Dark, longtemps présenté comme un fer de lance des Xbox Game Studios, a été annulé à l’été 2025, malgré des tentatives de sauvetage de dernière minute et un trailer prometteur l’année précédente. C’est un gros signal fort des difficultés que peuvent traverser des chantiers AAA, même très médiatisés.
À l’inverse, certains serpents de mer persistent. Beyond Good and Evil 2 reste officiellement en développement après avoir battu des records de longévité de production et symbolise à sa manière l’inflation des ambitions. Le contraste avec la locomotive GTA 6 est frappant et nourrit l’idée d’une industrie bipolaire: très peu de mégaprojets capables d’aspirer toute l’attention et une constellation de productions qui cherchent la bonne fenêtre pour exister.
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Concrètement, qu’implique le label « AAAAA » pour GTA 6
- Calendrier verrouillé: à la date d’aujourd’hui, la sortie de GTA 6 est annoncée pour le 26 mai 2026 sur PS5 et Xbox Series X|S. Cela cadre l’année des éditeurs et serveurs marketing.
- Effet parapluie médiatique: chaque communication de Rockstar devient un événement, ce qui pousse les concurrents à éviter les collisions de news et de sorties.
- Attentes démesurées: l’étiquette « AAAAA » élève encore le niveau d’exigence du public en matière de technique, de taille de monde, de narration et de finition. Elle peut aussi se retourner contre le jeu au moindre couac.
- Signal aux investisseurs: cette surclassification est un langage de finance qui dit, en substance, qu’on parle du produit le plus visible et potentiellement le plus bankable du cycle.
Le dessous des cartes:
Le débat n’est pas anodin. D’un côté, l’argument de Lowrie traduit une réalité mesurable: la franchise GTA n’a pas d’équivalent en termes de potentiel d’attention et de pression concurrentielle. De l’autre, multiplier les A ne crée aucune norme claire. On ne sait ni quels critères précis permettraient d’attribuer un A de plus, ni qui en serait l’arbitre. Le risque est de transformer un code presse en slogan, sans valeur descriptive pour les joueuses et joueurs.
Il reste que l’aveu de l’éditeur indépendant le plus médiatique du marché en dit long. Si même Devolver, champion des projets singuliers à taille humaine, anticipe « l’éclipse GTA 6 », c’est bien que la prochaine Grand Theft Auto est plus qu’un titre attendu: c’est un pivot pour l’ensemble du calendrier.