Au milieu des multiples programmes commémoratifs consacrés aux dix ans des attentats du 13 novembre 2015, un titre attire l’attention des sériephiles et amateurs de docu dramatiques : « Le 13 novembre. Le choix de Sonia ».
Quatre épisodes sur France 2, un dispositif hybride, un personnage principal qui existe vraiment et qui n’a pourtant pas de visage public. Le projet, signé David André et Violette Lazard, s’intéresse à une femme que les articles évoquent sous le pseudonyme « Sonia », témoin clé de l’enquête antiterroriste après les attaques.
Cette mère de famille, issue d’une banlieue populaire, a fait un geste que la plupart d’entre nous n’aurait peut être jamais osé : appeler la police pour dénoncer des terroristes en cavale, alors même qu’elle risquait sa vie et celle de ses proches.
Une histoire vraie qui commence comme une soirée ordinaire
Le récit nous ramène au 13 novembre 2015. Sonia vit en appartement avec son compagnon, ses enfants, et une jeune femme qu’elle héberge régulièrement, Hasna, cabossée par la vie, ballotée entre violences, placements et errances.
Ce soir là, la famille regarde le match France Allemagne à la télévision. Comme beaucoup de foyers français. Puis les premières informations tombent : explosions près du Stade de France, tirs sur des terrasses, prises d’otages au Bataclan. En quelques heures, le pays bascule.
Sonia est choquée, inquiète, les yeux rivés sur les infos. Hasna, elle, réagit de manière troublante, se réjouit brièvement avant d’être vivement recadrée. Pour Sonia, à ce moment précis, cela ressemble à un dérapage verbal de plus, un symptôme parmi d’autres d’un parcours déjà très chaotique, où se mélangent addictions, propos incohérents et tentatives de radicalisation plus ou moins assumées.
La rencontre avec Abaaoud :
Deux jours plus tard, le docufiction passe à ce qui sera le cœur du récit. Hasna appelle Sonia pour lui parler d’un cousin qui serait en fugue et caché près d’une autoroute. Elle la supplie de l’accompagner. Tout est présenté comme un service banal, un coup de main de plus rendu par cette femme qui a l’habitude de tendre la main aux plus fragiles.
Elles se rendent alors sous une bretelle de l’A86, à Aubervilliers. Là, Sonia découvre un homme dissimulé dans des buissons, pas du tout l’ado de 17 ans annoncé, mais un trentenaire à la barbe fournie. Très vite, elle comprend qu’il ne s’agit pas d’un simple proche en cavale. Selon les témoignages publiés ces derniers jours, l’homme reconnaît avoir participé aux attaques. Le nom qui circule alors partout dans les médias, celui d’Abdelhamid Abaaoud, s’impose dans son esprit.
Sonia garde pourtant son calme. Le docufiction montre une femme qui encaisse, observe, pose quelques questions, mémorise des détails. Elle comprend qu’elle se trouve au cœur d’un épisode encore en cours, que les attentats ne sont peut être pas terminés et que l’homme planifie d’autres attaques.
Appeler ou se taire : le fameux « choix de Sonia »
Le lendemain, Sonia se retrouve devant un dilemme que le programme décline en fil rouge : parler et risquer des représailles, ou se taire et laisser un commando préparer une nouvelle tuerie.
Elle finit par composer le 197, le numéro mis en place pour signaler des informations en lien avec les attentats. Elle explique que l’homme montré à la télévision n’est ni mort ni à l’étranger, mais bien caché à proximité de l’A86, à Aubervilliers.
Ce coup de fil change le cours de l’enquête. Il permet aux services antiterroristes de cibler une zone, de croiser les témoignages, d’identifier une planque à Saint Denis où seront repérés plusieurs membres de la cellule. L’assaut du 18 novembre 2015 aboutira à la mort d’Abdelhamid Abaaoud et de deux autres personnes, dont Hasna.
Le docufiction insiste peu sur la dimension spectaculaire de l’opération policière, déjà largement documentée ailleurs, et se concentre davantage sur ce que cette décision a provoqué dans la vie de Sonia.
Une vie sous protection, loin de tout ce qu’elle connaissait
L’un des axes les plus forts de la série, c’est l’après. Dix ans plus tard, Sonia vit encore sous une identité d’emprunt, avec son compagnon et ses enfants, dans un lieu tenu secret. Sa vie d’avant lui est interdite.
Le programme montre une femme qui a tout quitté : son quartier, ses habitudes, ses maraudes, son entourage. Elle ne peut plus exercer les activités bénévoles qui la définissaient, ni croiser ses anciens voisins. Elle parle de « vie en cage », selon les mots rapportés par son avocate, qui s’inquiète des limites d’un système de protection parfois bancal.
Elle a pourtant toujours tenu le même discours : elle ne regrette pas. Ce qu’elle a fait, elle l’a fait pour éviter d’autres massacres. Et si la reconnaissance publique n’est pas ce qu’elle recherche, ce docufiction se pose clairement comme un geste en ce sens.
Pour raconter cette histoire sans mettre Sonia en danger, les auteurs ont choisi un format hybride : sa véritable voix et sa présence filmée, mais sous protection, avec visage dissimulé, sont entremêlées à une partie jouée par des acteurs.
Carima Amarouche incarne Sonia à l’écran. Son jeu se veut discret, retenu, avec un mélange de fatigue, de détermination et de colère rentrée. La mise en scène repose sur des scènes nocturnes, des lieux banals, des intérieurs modestes, qui tranchent avec l’ampleur historique des événements dont il est question.
La réalisation d’ensemble reste très sobre : peu d’effets, beaucoup de visages, d’errances dans des parkings, des rues de banlieue, des couloirs de commissariat. L’idée est clairement de coller à la réalité, sans la surdramatiser, ni tomber dans l’esthétique du thriller.
La série est divisée en quatre épisodes d’environ 30 minutes, chacun centré sur un moment : la soirée des attentats, la rencontre avec Abaaoud, le fameux appel aux autorités, puis la vie sous protection et le rapport, parfois conflictuel, entre Sonia et les services qui sont censés la protéger.
Là où « Le 13 novembre. Le choix de Sonia » se distingue des autres productions liées aux attentats, c’est par son questionnement moral. Plusieurs scènes d’entretien avec des policiers, magistrats, spécialistes de l’antiterrorisme viennent rappeler que, dans les heures qui suivent l’assaut de Saint Denis, Sonia a été traitée comme une possible complice. Placée en garde à vue, interrogée de manière très dure, elle vit alors un véritable choc.
Le docufiction n’élude pas ce point : du côté des enquêteurs, on rappelle le climat d’urgence, la nécessité de vérifier chaque piste, de se méfier de tous les récits. Du côté de Sonia, c’est le sentiment d’injustice qui domine, celui d’avoir tout risqué pour être finalement suspectée.
Cette tension, entre reconnaissance tardive et soupçon initial, donne au récit une dimension presque tragique. Sonia n’est pas présentée comme une sainte, mais comme une femme qui se débat avec ses contradictions, ses colères, ses remords concernant Hasna, cette jeune femme qu’elle avait prise sous son aile et qu’elle n’a pas réussi à sauver.
Faut il le regarder si l’on est déjà saturé de programmes sur le 13 novembre
C’est la question que beaucoup se poseront. La réponse dépend bien sûr de la sensibilité de chacun, mais pour un public qui suit de près les séries, docu séries et docufictions, « Le 13 novembre. Le choix de Sonia » mérite clairement qu’on s’y arrête.
Parce qu’il ne cherche pas à rejouer le carnage en images, ni à faire du suspense sur des événements dont on connaît déjà l’issue. Le cœur du récit est ailleurs : dans le regard d’une femme qui essaie, dix ans plus tard, de reconquérir son histoire, sa parole, son statut de simple citoyenne.
Parce que la performance de Carima Amarouche offre un point d’entrée émotionnel fort pour les spectateurs de séries, habitués aux personnages complexes, ni totalement lumineux ni entièrement sombres.
Parce que le format relativement court des épisodes permet de respirer entre chaque partie, et de ne pas se sentir écrasé par la gravité du sujet.
Regarder le choix de Sonia sur France TV
