C’est la grande Claire Danes dans un rôle à la fois fragile et trempé, celui de Aggie Wiggs, autrice à succès dont la vie s’est effondrée après la perte brutale de son fils. On la découvre enfermée dans son deuil, incapable d’écrire, isolée dans une grande maison qui devrait vibrer de vie et qui ne résonne que de silence. C’est dans ce décor presque stérile qu’intervient Matthew Rhys, en Nile Jarvis, riche promoteur immobilier à l’aura trouble, voisin de cette femme en errance.
Le contraste ne pourrait pas être plus explicite : elle, blessée, en recul ; lui, sûr de lui, manipulateur. Le jeu du « chat et de la souris » se met en place immédiatement ; et c’est précisément ce qui électrise le premier épisode. Cette confrontation entre deux personnages aussi désaccordés qu’attirés promet l’un des duels les plus fascinants de la saison.
Le scénario est signé Gabe Rotter, d’après ce que l’on sait sa première grande œuvre à l’écran. Cette génèse pourrait laisser craindre un manque d’expérience, mais il n’en est rien : l’écriture est précise, l’atmosphère élégante et la tension latente. Tout est calibré pour tenir en huit épisodes ; sans que l’on ait l’impression d’une course contre la montre ou d’un remplissage inutile. On sent une vraie ambition visuelle et narrative. (Cf. plus d’un critique soulignant cette maîtrise)
La série s’approprie un ton presque « hitchcockien », comme l’a elle-même suggéré Claire Danes : un huis clos psychologique, des enjeux moraux flous, une présence de l’ombre et de la suspicion qui rôde. Le décor, la lumière, les silences ont autant à dire que les dialogues.

Douleur et duplicité
Aggie est un personnage magnifiquement construit : pas uniquement victime, elle porte la rage, le remords, l’épuisement, et surtout cette lente reconquête de soi qu’on oublie trop souvent dans les thrillers. Danes y est formidable, capable d’une retenue glaçante comme d’une explosion de douleur.
Nile Jarvis, de son côté, est un mystère continu. Rhys en fait un type charmant, raffiné, dangereux dans sa douceur. On ne sait jamais vraiment s’il est coupable, s’il joue un jeu, ou s’il est simplement la proie de ses propres démons. Cette ambivalence est son terrain de jeu, et il s’y glisse avec une aisance redoutable.
Leurs interactions constituent le cœur de la série : on les regarde s’observer, se jauger, se défier. Et à mesure que la paranoïa monte, que la culpabilité affleure, on entre dans un vortex émotionnel dont on ne ressort pas indemne.
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Quelques réserves quand même
Pour rester totalement honnête, tout n’est pas parfait. Le sous-texte politique ; autour des projets immobiliers de Nile, des ambitions municipales voisines, des conséquences sociales de ses manœuvres ; est parfois un peu léger, voire caricatural. On aurait aimé que ces ramifications aient la même densité que le face-à-face principal. Certains twists peuvent paraître attendus, et l’intrigue, après quelques épisodes, ne surprend pas toujours autant qu’elle l’avait promis au départ.
Mais ces petits défauts ne suffisent pas à gâcher l’ensemble. Ils sont les grains de sable dans une mécanique globalement fluide et tendue.
À qui s’adresse cette série ?
Si vous aimez les thrillers psychologiques plutôt que les enquêtes purement policières, si les duels d’acteurs vous captivent, si vous préférez l’ambiance et les non-dits au spectacle outrancier, alors cette série est pour vous. Elle ne joue pas le « grand spectacle » à tout prix, mais l’intensité silencieuse, le malaise qui s’installe, le doute qui s’insinue. En revanche, si vous cherchez une intrigue très « whodunit » avec révélations multiples et effets de manche, vous risquez d’être légèrement frustré.
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