Islamabad, 7 mai 2025 – C’est une petite révolution numérique qui s’est jouée ce mercredi : après plus d’un an de silence numérique forcé, les Pakistanais peuvent de nouveau accéder à X (anciennement Twitter) sans passer par un VPN. Derrière ce déblocage, officiellement motivé par la fin d’une mesure « temporaire », se dessine un contexte politique et géopolitique beaucoup plus complexe, où les réseaux sociaux deviennent des terrains de bataille aussi cruciaux que les frontières physiques.
15 mois de censure : une parenthèse numérique qui en dit long
Retour en arrière. Le 17 février 2024, dans la foulée d’élections générales très contestées, les autorités pakistanaises décident de couper l’accès à X. Officiellement, la plateforme aurait servi à relayer des accusations de fraude électorale, suscitant des tensions internes. Mais apparemment, les autorités pakistanaises ont oublie de rebrancher X pendant 15 mois, forçant les internautes à recourir massivement aux VPN.
Durant cette période, NetBlocks, l’organisation de surveillance d’Internet, a confirmé de nombreuses restrictions : Facebook, Instagram et WhatsApp ont connu des blocages temporaires, tandis que Telegram reste encore interdit aujourd’hui. Le Pakistan a enregistré 21 coupures majeures d’Internet en 2024, un triste record national.
Pourquoi lever le blocage maintenant ?
La question qui agite aujourd’hui observateurs et analystes : pourquoi le gouvernement pakistanais a-t-il choisi ce moment précis pour rétablir l’accès à X ?
Si aucune déclaration officielle n’évoque de lien direct avec la situation régionale, le contexte militaire et diplomatique offre un éclairage intéressant. Depuis avril 2025, un regain de tensions oppose le Pakistan à son voisin indien. Des frappes aériennes revendiquées par l’armée indienne ont visé des positions présumées terroristes sur le territoire pakistanais et au Cachemire administré par le Pakistan, en représailles à une attaque ayant coûté la vie à 26 personnes.
En réponse, Islamabad a dénoncé ces frappes comme une violation de sa souveraineté, promettant des représailles. Depuis, les accrochages le long de la Ligne de Contrôle (LoC) se multiplient, ravivant les craintes d’un affrontement majeur entre deux puissances nucléaires.
X, un nouvel outil de communication gouvernementale ?
Plusieurs sources proches du gouvernement, relayées par le média Samaa TV, laissent entendre que la levée de l’interdiction de X pourrait aussi s’inscrire dans une stratégie de guerre de l’information.
Dans un monde où l’image et la narration comptent autant que les faits sur le terrain, contrôler le récit devient une arme. Le gouvernement pakistanais pourrait chercher à :
- Contrer les narratifs indiens circulant sur les réseaux sociaux.
- Mobiliser l’opinion publique internationale en relayant ses positions sur X.
- Donner un signal d’ouverture à ses propres citoyens et à la communauté internationale, après des mois de critiques sur la liberté d’expression.
Cette hypothèse est renforcée par les déclarations récentes de diplomates pakistanais, qui insistent sur le « besoin vital de faire entendre la voix du peuple pakistanais face à la désinformation ».
La surveillance numérique reste une réalité
Toutefois, le rétablissement de X ne signifie pas la fin de la surveillance et du contrôle numérique au Pakistan. D’après un rapport de Access Now, Islamabad travaille actuellement avec Pékin pour développer une infrastructure de censure inspirée du « Grand Firewall » chinois. Objectif : accroître les capacités de filtrage et de surveillance en ligne.
En parallèle, un nouveau système de licences pour les fournisseurs de VPN a été instauré fin 2024. L’utilisation de ces outils pourrait bientôt être encore plus strictement encadrée.
Un soulagement pour les internautes… mais des incertitudes demeurent
Pour les internautes pakistanais, la réouverture de X est un souffle d’air frais. Les influenceurs, journalistes, militants et citoyens ordinaires retrouvent une plateforme essentielle pour partager idées, actualités et mobilisations.
Mais beaucoup restent méfiants. La possibilité d’un nouveau blocage en cas de crise n’est pas écartée. Et certains craignent que la liberté numérique reste conditionnée à des considérations politiques fluctuantes.
Un cas d’école pour les libertés numériques
Le cas pakistanais illustre un phénomène mondial : les réseaux sociaux sont devenus des instruments stratégiques autant pour les gouvernements que pour les populations. Leur contrôle ou leur ouverture dépend désormais d’équilibres politiques, géopolitiques et sécuritaires.
Comme le souligne un chercheur en cybersécurité interrogé par Al Jazeera :
« À mesure que la frontière entre conflit armé et guerre de l’information s’estompe, les réseaux sociaux deviennent des champs de bataille essentiels. »
Synthèse : la levée de l’interdiction de X, un geste calculé ?
En surface, la décision de restaurer l’accès à X peut sembler être une simple évolution interne du Pakistan. Mais en y regardant de plus près, elle semble répondre autant à des impératifs de politique intérieure qu’à la volonté de s’exprimer dans le cadre d’un conflit régional de plus en plus tendu avec l’Inde.
L’avenir dira si cette ouverture numérique sera durable ou si elle cédera à nouveau face aux vents contraires de la géopolitique sud-asiatique.